Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
A lire les titres de la presse financière, on en viendrait presque à les plaindre. Après une réputation mondialement ternie suite à la grande crise de 2008/09, les banquiers ont dû faire face à des exigences de plus grande transparence de leurs activités, à la montée en puissance des fonds indicés (peu rémunérateurs) et à une révolution numérique qui place des start-ups (“fintech”) en concurrence directe de leurs services.
Certes, la crise financière a mis, en 2008/09, un coup d’arrêt brutal à des activités très rémunératrices, voire trop rémunératrices au regard de la valeur ajoutée qu’elles généraient réellement. Certes, aussi, les banques ont licencié à tour de bras ces dernières années essentiellement pour tenir compte de l’évolution technologique et, sans doute aussi, après avoir trop embauché au cours de la période précédente.
Mais parler de la finance comme d’un secteur sinistré serait aller trop vite en besogne. En réalité, comme l’a analysé le chercheur (français) Thomas Philippon et relayé le Wall Street Journal dans une édition récente, la machine financière fonctionne comme en ces plus beaux jours. La preuve ? En 130 ans, les revenus que les banques retirent de leurs activités d’investissement sont restés proportionnellement étonnamment stables : entre 1,5 et 2 cents gagnés sur chaque dollar transformé d’épargne en investissement.
Comment est-ce possible ?
Primo, même si les fonds indicés, peu gourmands en frais, se sont développés ces dernières années au bénéfice des épargnants, il n’en demeure pas moins que beaucoup d’investisseurs continuent à penser que les fonds gérés activement (sans suivre un indice particulier) sont meilleurs en terme de rendement. Et les payer plus cher serait d’ailleurs un signe allant dans ce sens. Il va sans dire que ce type de raisonnement repose sur du sable. Mais il fonctionne toujours. Mieux : les banques parviennent à commercialiser des fonds présentés comme actifs et qui, en fait, ne s’éloignent que très peu de leurs indices respectifs ; bien entendu, les frais comptés aux clients se rapprochent, eux, nettement plus de fonds actifs que passifs.
Secondo, au fur et à mesure où il y a une pression (réglementaire et commerciale) plus forte pour des produits plus simples (“plain vanilla”) à destination des investisseurs de base (vous et moi), les banques n’hésitent pas à développer des produits plus sophistiqués pour des investisseurs plus exigeants ou plus naïfs. Là encore, les promesses (de meilleur rendement) n’engagent que ceux qui y croient. L’imagination, à grand renfort de marketing, est alors sans limite : fonds structurés, fonds dits “spéculatifs” (“hedge funds”), fonds de “private equity” (investissant dans le non côté), fonds se basant sur des recherches “scientifiques” (qui s’avèrent finalement le plus souvent peu étayées) … se multiplient pour satisfaire la demande d’investisseurs souvent aveuglés par la quête d’un statut. Pouvoir dire à son beau-frère qu’on a investi dans un hedge fund, ça n’a pas de prix …
Soyons justes : la finance ne doit être tenue pour responsable de tous les maux de la terre, comme on l’entend trop souvent dire dans l’Hexagone. Mais force est de constater qu’en se développant au fil des décennies, elle est nettement devenue en surpoids (par rapport au rôle d’intermédiation classique qui devrait être le sien) et a, largement inutilement, gagné en complexité (avec les risques de crise grave qui en résultent).
Le client, lui, n’a en moyenne rien gagné des progrès de la productivité inhérents au développement économique depuis plus d’un siècle. Il est vrai que c’est en partie de sa faute vu qu’il a la possibilité de recourir à des produits moins chers et pas moins performants (au contraire).
Dès lors, sans surprise, comme au casino, l’argent va à la banque plus souvent qu’à son tour …