Wholeness

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

Est-on soi-même au travail ?

Historiquement, l’entreprise a toujours été représentée comme un lieu où l’on se présente avec un masque : il paraît naturel que sur le lieu de travail, on se comporte de manière « professionnelle », c’est-à-dire avec des règles de maintien et de conduite qui ne sont pas celles de la vie courante de notre vie personnelle.

Nombreux sont d’ailleurs les collaborateurs qui s’efforcent de maintenir une étanche séparation, du moins le croient-ils, entre ce qu’ils sont en dehors de l’entreprise, et leur comportement à l’intérieur. C’est même pour certains une règle de vie.

L’attitude qu’ils s’efforcent d’avoir avec leur masque à l’intérieur de l’entreprise est souvent celle qu’ils pensent être conforme aux standards de l’entreprise. Il s’agit d’un comportement souvent masculin : montrer force et détermination (ne jamais sembler hésiter), cacher tout ce qui pourrait paraître de la vulnérabilité, des doutes, des émotions. Cela conduit ainsi certaines femmes à se déguiser en des êtres sans féminité, animées d’une rage de vaincre et d’imposer leur pouvoir aux autres.

Ce qui compte dans ce qui est perçu comme la bonne attitude, c’est la rationalité, le raisonnement déductif. Ce qui est considéré comme dangereux : les émotions, l’intuition, la part la plus spirituelle de nous-même, la séduction.

Avec de tels individus rationnels, on peut dire que l’entreprise est, au sens le plus propre du terme, sans âme.

Ce qui empêche ainsi les employés de se comporter de manière plus entière, avec leur âme et leur part d’ombre : c’est la peur. La peur de l’entreprise que si chacun amène ses « états d’âme », elle sera ingouvernable. La peur de l’employé qui craint que, si il est « trop lui-même », il sera exposé à la critique, au ridicule, voire mis en danger dans son emploi lui-même. Alors le mieux c’est de « se tenir à carreaux », non ?

Cette peur, pour certains, conduit à manifester leur Ego en permanence pour gagner, faire imposer ses propositions plutôt que celle des autres ; pour eux l’entreprise est un combat permanent, avec ses luttes de pouvoir, dont il faut sortir gagnant le plus souvent possible.

Pour d’autres, la peur va les amener à se faire discret, à ne jamais émettre d’opinions différentes des chefs, à s’enfermer dans une sorte de « bulle » : je fais bien ( ?) mon travail, je la ferme, et j’évite les conflits en gardant le silence.

Quand la peur et l’Ego ont ainsi pris le pouvoir dans l’entreprise, chacun ayant bien séparé ce qu’il est dehors et dedans, que penser d’une telle entreprise ?

Celles qui sont ainsi ont souvent les mêmes symptômes : perte de créativité, conflits larvés, manque d’initiatives, perte de respect, pouvoir et Ego des « petits chefs » qui font des ravages.

C’est pourquoi certains dirigeants et entreprises font de ce que les anglo-saxons appellent « Wholeness » une de leurs valeurs-clés. Cela signifie inviter l’humanité de chacun à l’intérieur de l’entreprise, et à favoriser l’expression des sentiments et émotions, et pas seulement des opinions ou analyses rationnelles. Le secret pour contrer la peur, on l’imagine très bien : c’est la confiance.

Mais introduire et développer la confiance dans l’entreprise, ce n’est pas si facile, surtout lorsque les dégâts sont profonds.

Frédéric Laloux est un chercheur belge qui a rassemblé dans son livre «  Reinventing Organizations », paru en 2014, ses recherches sur des entreprises qui ont cherché à réinventer l’entreprise autour de la confiance. Les piliers pour ces réinventions, dont les modalités sont différentes d’une entreprise à l’autre, sont : le Self Management (alléger voire supprimer tout ce qui ressemble à des contrôles inutiles et à une hiérarchie pesante), la Vision (donner du sens et un but à l’entreprise qui donne envie et ambition, et ne se réduit pas à des objectifs économiques), et … »Wholeness ».

Le lecteur en tirera de nombreuses idées et multiples témoignages pour s’attaquer à cette question.

La première étape, le déclencheur, forcément, c’est la volonté du dirigeant de s’engager dans cette démarche ; C’est donc de créer l’environnement le plus propice à l’expression de chacun ; le point de départ, c’est que lui-même fasse confiance. Dans certaines entreprises cela va consister à formaliser une « charte des droits et responsabilités pour les employés et les clients ». Frédéric Laloux cite ainsi la charte d’une entreprise américaine dans le secteur médical :

«Comme membre de la communauté de l’entreprise, il est important d’être capable de deux choses :

a) Se détacher de notre besoin d’ « avoir raison » pour pouvoir entendre et respecter les réalités et les perspectives des autres, et

b) Distinguer les pensées (ce qui se passe dans votre tête), et les attitudes (ce que vous faîtes ou dîtes)."

La charte liste ainsi les expressions d’hostilité qui ne sont pas acceptables. Cette charte est le résultat de pratiques et d’engagements partagés par les employés. Elle est surtout un support que chacun s’approprie, et qui va être évoqué dans les discussions, dans les réunions, dans les moments de prise de décisions.

Bien sûr, partager des valeurs, la confiance et le respect, cela va plus loin que d’écrire une charte. Ce sont les comportements et attitudes qui doivent évoluer. Et pour certaines entreprises, cela va consister à créer des moments et des espaces pour parler des valeurs, les partager, les vivre.

Ainsi se mettent en place dans les entreprises analysées par Frédéric Laloux des « Values Day » (un grand évènement dans toute l’entreprise où l’on revisite le but de l’entreprise, ses valeurs, les règles de conduite, et comment chacun, individuellement et au sein des équipes, les vivent).

Les moments les plus dangereux pour réveiller les peurs et les manifestations de l’Ego sont souvent les réunions. On s’y affronte, on parle sans écouter les autres. Pour changer tout ça, les entreprises en quête de « Wholeness » mettent en place, là encore, des modalités originales.

Dans une des entreprises citées, les réunions commencent toutes par une minute de silence (la force du silence pour se retrouver Soi-Même, et ne pas être absorbé par l’Extérieur), puis un des participants volontaire va faire sonner des petites cymbales ; la réunion ne commence qu’une fois le son des cymbales éteint (et cela dure car les cymbales résonnent un certain temps).

Pendant le silence c’est l’occasion pour chaque participant de réfléchir intérieurement : «  Est-ce que je suis au service du sujet qui va être discuté dans cette réunion, en accord avec les valeurs de l’entreprise ? ». Répété de réunion en réunion, ce rituel fait progressivement changer les relations et comportements.

Toutes ces pratiques pourront bien sûr paraître un peu farfelues, complètement en-dehors de ce que l’on vit dans l’entreprise ; Dans cette affaire, ce qui est le déclencheur, c’est l’intention, c’est la prise de conscience. Les modalités, les idées à mettre en œuvre, sont ensuite propres à chacun.

Mais l’on peut aussi continuer avec la peur et l’Ego, et en accepter les ravages, et parfois les souffrances,  en silence ; en feignant même de les ignorer.

Jusqu’à ce qu’on ait envie d’autre chose….

Et que l’intégrité devienne une valeur, et « être soi-même et entier » un comportement partagé.

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