« Petite chronique boursière  » – Cette paradoxale croissance économique

Vincent_colot Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

C’est un classique du conseil financier. En cette période de faible activité économique européenne, vous avez sans doute déjà lu une telle recommandation : « Investissez sur la Bourse du pays XYZ puisqu’une plus forte croissance économique y est attendue que dans la zone euro ».

Cela semble a priori l’évidence même. Mieux vaut investir dans des actions d’entreprises dont les carnets de commandes vont profiter d’une croissance économique supérieure. Et pourtant, comme souvent en matière boursière, cette évidence est trompeuse. Enfin, pas totalement …

Explications.

Cette relation entre croissance économique et rendements boursiers est une des plus complexes et fascinantes que je connaisse. Sur longue période (plusieurs décennies), la relation entre ces deux variables n’est pas convaincante : au mieux légèrement positive et, dans certains cas, même légèrement négative. Par exemple, comme le souligne à juste titre Ben Inker, dans la dernière lettre trimestrielle de GMO, l’assez forte croissance économique de pays comme l’Australie et le Canada entre 1980 et 2010 n’a pu se traduire qu’en assez faibles rendements boursiers. Comment est-ce possible ? Entre la croissance économique et les rendements boursiers, il y a une autre variable qui fait le lien : l’évolution des bénéfices par action. Or, la croissance économique de l’Australie et du Canada reposant principalement sur le secteur des matières premières a été nourrie par des investissements massifs, ce qui a provoqué une dilution de la participation des actionnaires. Plus d’actions crées = relativement moins de richesses par action. A l’inverse, des pays comme la Suède ou la Suisse, ayant connu sur la même période une croissance économique plus faible mais requérant moins d’investissements ont mieux traité les actionnaires de leurs entreprises. A ces considérations peuvent s’en ajouter d’autres venant également perturber l’influence de la croissance économique, comme la qualité des règles de gouvernance des entreprises, souvent déficiente dans les pays émergents.

Hum … D’accord. Mais ne peut-on vraiment rien tirer des attentes de croissance économique à un horizon plus restreint, disons sur les 3 prochaines années ? En fait, si. La relation largement inopérante à long terme devient plus intéressante à plus court terme. Ah bon ? Oui, mais ce qui importe, ce n’est pas la croissance économique attendue en tant que telle de tel pays par rapport à tel autre. Si vous voulez utiliser cette croissance économique comme critère d’une décision d’investissement, il vous faudra mieux la prédire que les autres. En d’autres mots, vous devrez anticiper correctement les surprises. Retour par la case « bénéfices par action » pour mieux comprendre. Lorsque la croissance économique est plus soutenue qu’attendue, les marges bénéficiaires des entreprises ont tendance à nettement progresser à court terme par rapport à ce qui avait été budgété (et l’inverse dans le cas contraire). Si, en plus, vous parvenez à prévoir une surprise économique positive concernant un pays dont la Bourse est bon marché, alors l’affaire est magnifique. Sur les 30 dernières années, les experts de GMO ont calculé que les meilleures surprises économiques affectant les 20% des marchés les moins chers ont permis de générer des rendements excédentaires (par rapport à la moyenne) de quelque 14,1% (en USD) en moyenne par an sur 3 ans.

Bien entendu, derrière cette salivante statistique, se cache un vrai défi. Il n’est guère facile de mieux prévoir que les autres la croissance économique d’un pays, serait-ce à court terme. Si déjà, vous réussissez à identifier les Bourses qui sont les meilleur marché, vous parviendrez à une très honorable performance boursière. Sur ces marchés, toujours sur les 30 dernières années, un « accident » économique imprévu ne vous aurait, en moyenne, pas plongé dans le rouge vis-à-vis des autres investisseurs : +0,7% (de plus que la moyenne) sur les 3 années suivantes. Mais ce +0,7% se transforme en – 6,1% lorsque ce même accident touche une Bourse chèrement valorisée.

En conclusion, ne vous laissez pas influencer par les consensus de croissance économique, quand bien même ils seraient positifs. Investissez sur les Bourses bon marché. Et si vous avez le talent ou la chance d’y pressentir une surprise économique positive, alors vous toucherez le Graal.