Comment se planter au Canada (6) : Cachez la réalité américaine à votre siège social

549786_10151406784480073_535111168_nPar Yann Rousselot-Pailley (chroniqueur exclusif) – Associé-entrepreneur chez 2PS

Dans un précédent opus de cette série d'articles, nous avons déjà parlé des expat’. Revenons sur ces employés qui ont un statut particulièrement prestigieux puisqu’ils ont accepté la mission de tenter l’ouverture de la filiale US-Canada.

C’est un privilège, réservé à l’élite ! À ceux qui savent travailler en freelance, qui savent pitcher, qui bosse même le week-end, et qui font un boulot nickel-chrome. Bref, à ceux qui parlent une langue française émaillée d'anglicismes et d’expressions qui n’ont pas cours au Québec.

Attention, cela ne veut pas dire que le français des affaires, dans la Belle Province, soit dépourvu d’anglicismes ou d'expressions idiomatiques. Loin s’en faut ! Mais ce ne sont pas les mêmes qu’en Europe.

Dans le domaine commercial les Belges, les Suisses et les autres européens francophones sont très influencés par la manière de parler des Français. Il serait facile de penser que c’est aussi le cas ici. Mais au Québec, les expressions et les tournures de phrases sont différentes.

Si vous voulez avoir la certitude de vous planter en beauté, ne déduisez pas de ces simples nuances linguistiques qu’il faudrait adapter votre entreprise et sa manière de communiquer et de vendre ses produits et services à l’Amérique du Nord.

Avant d’y envoyer un collaborateur (Souvent en V.I.E. pour que ça coûte moins cher), certains dirigeants d’entreprises viennent faire un tour au Québec. Ils viennent en “missions commerciales”. Pendant cette tournée les Boss s’amusent des différences linguistiques, s'intéressent un peu au tissu industriel local et cherchent des clients, des partenaires ou des fournisseurs potentiels.

Mais rares sont ceux qui remettent en question le mode de fonctionnement de leur entreprise avec 5 à 7 heures de décalage horaire dans les jambes, 5 à 7 rendez-vous par jour, 3 bon gros repas d’affaires quotidiens, et des dizaines de petits fours à ingurgiter lors des 5 à 7 (on vous a déjà dit que ça n’avait rien à voir avec ceux de le France). Ce n’est donc pas eux qui vont faire rater le projet en cinq sec… pour ce rôle, on choisira une personne méritante, dévouée à l’entreprise. En résumé, une personne de confiance !

C’est ainsi qu’entre en scène notre jeune expat’ en V.I.E. et sa quête ! C’est à lui que revient la lourde responsabilité de faire échouer, non pas sa propre entreprise, mais celle d’un autre ! Comment s’y prendre sans éveiller de soupçons ?

Le meilleur moyen d'annihiler toutes chances de réussite de l’expédition en terre inconnue, c’est que l’expat’ cache toutes les différences constatées sur le terrain aux collègues outre-atlantique et ce, pour plusieurs raisons :

  • Ils pourraient croire que l’expat’ n’a pas vraiment les compétences pour cette mission sacrée,

  • Ils pourraient penser que la stratégie d'implantation de l’entreprise était inadaptée depuis le début,

  • Même si l’expat’ faisait un effort d’analyse, ses collègues ne comprendraient pas, de toutes façons, la réalité du terrain.

Imaginez que l’expat’ parviennent à convaincre quelqu’un de haut placé dans la société que le projet va tout droit dans le mur. Ça pourrait conduire à la honte suprême : le rapatriement ! Qu’en dira t-on ?

Les Français (encore eux) ont une spécificité en matière d’implantation de filiale au Québec. Lorsqu’ils créent une entreprise à l’étranger, ils essaient souvent d’importer la fameuse “french touch” (en anglais?), le terroir, la qualité française.

Prenant pour exemple Chanel et L’Oreal, ils sont persuadés que le simple fait de venir de la France est déjà un avantage concurrentiel. Et c’est ainsi que, régulièrement, naissent et meurent boulangeries, cafés, bistros, et restaurants français au Canada. Mais pas seulement !

Certains entrepreneurs issus du monde du service-conseil et de l’industrie sont persuadés que le génie industriel français est encore mondialement reconnu. Mais, il faut se rendre à l’évidence : à l’extérieur de l’Europe peu nombreux sont ceux qui savent qu’Arianespace, Thales, Sagem ou Airbus sont des fleurons industriels mondiaux issus du génie français.

Une entreprise française qui avait décidé de s’implanter au Québec s’y est pris de la manière suivante : en toute discrétion, et sans utiliser les services de stratégistes du Québec ou de conseillers juridiques locaux, sans même s’appuyer sur les organismes gouvernementaux d’aide à l’installation d’entreprises étrangères, ils ont créé une filiale. Ils ont loué un local, recruté une dizaine de personnes, en ont expatrié une dizaine d’autres ; puis ils se sont inscris dans les pages jaunes, et ont attendu ….que le téléphone sonne. Jusqu’au moment ou ils se sont posé des questions. Dommage de ne pas l’avoir fait plus tôt.

Vous ! Oui vous l’expat’ ou le jeune en V.I.E. à qui l’on a confié de monter la filiale, attendez que le téléphone sonne ! Inutile de remettre en question le modèle d’affaire de votre entreprise mère. Après tout, “chez nous, elle marche bien notre entreprise !” Le nom de votre entreprise est si connu, votre expertise si reconnu, vos produits (ou services) si efficace ! Si ça ne marche pas ici, ce n’est qu’une question de temps, ou de marketing. Votre problème c’est que les gens ne savent pas encore que votre prestigieuse marque leur a fait l’insigne honneur de leur ouvrir un bureau local.

Rapidement, lorsque vous vous serez rendu compte que tout le monde se fout de votre nouvelle présence au Canada, il va falloir continuer d’entretenir le mythe auprès de votre patron pour qu’il vous laisse suffisamment longtemps au Québec pour que vous restiez crédible auprès de vos amis lorsque vous serez de retour au bercail. Ah, et il faut aussi vous permettre de finir de visiter un peu quand même.

Voici donc quelques conseils de trucs à faire, néfaste pour l’avenir de votre entreprise, mais qui donneront aux patrons le sentiment que vous bossez:

  • Distribuez plus de plaquettes dans les boîtes à lettres (mais on ne dit pas plaquette au Québec, on dit brochure ou flyer… et on dit boîte à malles).

  • Harcelez d’appels téléphoniques les filiales locales de vos clients européens.

  • Lancez une campagne de promotion : 2 pour 1, 20% gratuit, cassez les prix… bradez-vous !

  • Parcourez tout le Canada, ne vous concentrez sur aucun marché en particulier.

  • Prétendez que tout va bien, que vous contrôlez parfaitement la situation.

  • Utilisez toujours les employés de votre maison-mère plutôt que des ressources locales.

  • Conservez les mêmes arguments de vente, le même discours, les même contrats

Lorsque votre entreprise se sera bien planté, vous n’aurez de toutes façons rien à vous reprocher : vous n’aviez pas le droit de signer de documents officiels, ni d’embaucher, tout devait passer par le Saint Siège qui a la science infuse, vous n’aviez pas d’autonomie légale … bref c’est pas votre faute ! Alors pas de scrupule !

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