Par Patrick Rey (chroniqueur exclusif) – Consultant-Délégué Régional du Groupe ITG
On a assisté à une croissance des créations de sociétés de portage salarial et à un foisonnement de l’information sur cette activité. Beaucoup de nouveaux acteurs voulaient “surfer” sur une vague qu’ils pensaient … porteuse, si j’ose dire. Beaucoup d’articles de presse et de sites internet ont témoigné, copié/collé ou démultiplié l’information disponible sur ce sujet. Or, le portage aujourd’hui entame sa troisième phase, celle de l’intégration : un métier maintenant reconnu, légalisé et professionnel.
Côté nouveaux acteurs, des sociétés qui avaient une autre activité à l’origine ajoutent le portage à leur offre de service. Du coup, des sociétés en créent d’autres, à côté, pour récupérer un nouveau marché. Bon nombre de ces nouveaux habillages ne sont que des illusions marketing. J’en connais qui se font une spécialité du “relooking” permanent de leur message commercial, passant du statut associatif supposé plus économique, car sans bénéfices redistribués, au statut de société spécialisée en portage dit “low-cost” (et donc “low services”), devenant une société de temps partagé. L’authenticité et la cohérence n’est pas une valeur partagée par tous !!
En matière d’information, les articles se sont multipliés, ce qui a eu pour mérite de mieux faire connaître le portage salarial. Les clients des consultants connaissent davantage le dispositif. Le foisonnement sur le web produit — ici comme ailleurs — beaucoup de désinformation, de jugements à l’emporte pièce ou d’approximations.
Que reste-t-il de tout ce bruit de fond ? Quelque chose qui ressemble parfois à une jungle des acteurs, un peu comme le far-west des sociétés de portage. Des sociétés qui naviguent à vue, au gré des opportunités, des lois et des accords : par exemple, ceux qui se sont engouffrés dans la loi du 2 août 2005 sur le travail à temps partagé. D’autres qui ferment leurs portes, laissant des consultants sur le carreau. Des personnes à la recherche de “la bonne idée”, qui se demandent comment monter dans le train. Une profession à la recherche de nouveaux débouchés — je parle de l’intérim —, et dotée de sérieux appuis pour prendre en otage les acteurs déjà en place.
Ainsi, après environ 15 ans, pour les premiers porteurs, certains en sont restés à des pratiques basiques que d’aucun appellent “archéo-portage” (mot de Jacques Vau, co-créateur d’ITG et du Sneps). D’autres — et ITG en tête — ont appris à faire un métier plus complexe et plus complet, qui est devenu celui de l’accompagnement des créateurs d’activité solo. Après ces deux phases, alors que la profession n’était toujours pas réglementée ni légalisée, voilà que trois événements ont conduit à la troisième phase dont je parlais : • l’accord de branche du 15 novembre 2007, signé entre le syndicat patronal CICF-Sneps et les syndicats de salariés F3C (CFDT), CFE-CGC et CFTC. Largement inspiré du premier accord d’entreprise, signé le 26 avril 2004 entre ITG et le syndicat CFDT (Betor Pub), cet accord encadre la pratique du portage salarial et apporte des garanties aux salariés” (lire la chronique de décembre dernier). • le jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, le 18 mars 2008, concernant le refus par l’Assedic de Paris d’ouvrir de nouveaux droits à des anciens salariés de la société ITG : les 5 personnes concernées et le syndicat CFDT Betor Pub ont assigné l’Assedic, qui s’est vue condamnée à régulariser la situation de chacun des salariés, ce sous astreinte de 50 € par jour de retard, et à payer à chacun des demandeurs la somme de 1000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Ce jugement reconnaît la validité* du contrat de travail d’ITG. • le vote à l’Assemblée Nationale, le 16 avril 2008 de l’Article 8** du projet de Loi portant modernisation du marché du travail : un nouvel article a été créé (L.1251-60 du Code du Travail) pour définir le portage salarial et un article a été modifié (L.8241-1) pour exclure le portage salarial du délit de "prêt de main d'œuvre". Au cours des débats, le ministre du travail (Xavier Bertrand) a confirmé qu’il souhaitait que le portage soit “organisé par la branche de l’intérim sans que les personnes « portées » deviennent pour autant des intérimaires, l’activité de portage présentant des caractéristiques propres”. Par conséquent, une fois le texte voté par le Sénat, le 7 mai 2008, la profession pourra s’organiser, avec les différents acteurs. A terme, cette activité sera exercée à la fois par des sociétés de portage et par des entreprises de travail temporaire.
Nous sommes donc entrés en phase 3 : légalisation, professionnalisation et intégration. Dans quelques temps, la profession sera assainie. Les officines mal gérées (pour rester poli !) devront fermer leurs portes. Les acteurs sérieux seront encore plus sérieux : ils ont défini les règles éthiques de la profession, ils ont négocié les accords d’entreprise et l’accord de branche, ils ont une expérience irremplaçable en matière de pratiques du portage. Quant aux grands de l’intérim, après avoir déjà obtenu la fin du monopole du placement***, ils vont pouvoir développer l’activité de portage de missions d’experts à haute valeur ajoutée.
Tout ceci ne fait peut-être pas plaisir aux syndicats des entreprises de portage salarial : les porteurs actuels ne seront plus seuls à opérer. Mais force est de reconnaître que leurs salariés (tant les permanents que les portés) devraient y trouver leur compte !! Par un assainissement du métier, une généralisation des dispositifs les plus avancés, une meilleure formation interne, de solides garanties financières et légales, des possibilités accrues de passage d’un statut à un autre, et — espérons-le ! — un meilleur dialogue avec les entreprises clientes. Les deux prochaines années vont nous dire tout ça et on verra les résultats…
(*) Conclusion du jugement : “l’examen approfondi des rapports créés entre ITG et ses consultants fait apparaître qu’ils s’inscrivent dans de réels liens de subordination juridique et économiques tels que recherchés pour caractériser l’existence d’un contrat de travail. Si le consultant dispose d’une large autonomie dans ses démarches commerciales, il remplit en même temps une fonction technique de conseil pour le compte de son employeur qui lui demande de réaliser ce travail après l’avoir validé. La situation des contrats examinés par le tribunal, se rapproche de celles d’autres professions actuelles de nature commerciale ou intellectuelle dans lesquelles une grande marge d’initiative est laissée au salarié, lequel reste néanmoins sous la dépendance d’un employeur sur les plans juridique et économique”.
(**) Article 8 : Il est inséré après la section 5 du chapitre Ier du titre V du livre II de la première partie du code du travail, une section 6 ainsi rédigée : Section 6 Portage salarial
« Art. L. 1251-60. – Le portage salarial est un ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée, et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l’entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. »
II. – Au 1° de l’article L. 8241-1 du code du travail, après les mots : « au travail temporaire, », sont insérés les mots : « au portage salarial, ».
III. – Par exception aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 2261-19 du code du travail et pour une durée limitée à deux ans à compter de la publication de la présente loi, un accord national interprofessionnel étendu peut confier à une branche dont l’activité est considérée comme la plus proche du portage salarial la mission d’organiser par accord de branche étendu le portage salarial.
(***) La loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005 ouvre l’activité de placement aux entreprises de travail temporaire (ETTl)