La cuve du pressoir

Martingilles Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

Parmi les romans de la rentrée, celui de Jérôme Ferrari
retient l’attention. Il a pour titre «  Le sermon sur la chute de
Rome ». C’est une référence aux sermons de Saint Augustin à l’occasion de
la chute de Rome en 410, envahie par les troupes visigoths d’Alaric le barbare.
Pendant trois jours, du 24 au 26 août, ce sont incendies, viols, pillages,
massacres.

Cette prise de Rome est un traumatisme moral et
psychologique, l’effondrement du mythe d’une Rome éternelle. Et fait naître une
explication religieuse parmi les païens, qui accuse les chrétiens : les
dieux se vengeaient d’avoir été abandonnés.

C’est dans ce contexte qu’Augustin, évêque d’Hippone, livre
ses prédications, restés sous ce titre de « sermons sur la chute de
Rome ».

Le message, c’est que les mondes passent, naissent et
meurent, mais que les chrétiens, simples voyageurs sur cette terre, sont en
marche vers la cité céleste.

Il ne s’agit pas de pleurer parce que Rome a été livrée aux
flammes. Les hommes n’ont pas le pouvoir de bâtir des choses éternelles.
L’homme bâtit sur du sable. Si tu veux étreindre ce qu’il a bâti, tu n’étreins
que le vent. Tes mains sont vides et ton cœur affligé. Et si tu aimes le monde,
tu périras avec lui.

Le roman de Jérôme Ferrari est l’histoire de personnages
qui, tous quittent un monde pour entrer dans un autre. Notamment ces deux
jeunes qui quittent leurs études de philosophie pour reprendre un bistrot en
Corse. Cela finit dans le drame, un couteau, un pistolet, des crises. Autre
personnage fascinant, le grand père Marcel, qui a connu la fin de l’Empire
colonial : «  Est-ce ainsi que
meurent les empires, sans même qu’un frémissement se fasse entendre ? Il
ne s’est rien passé, l’Empire n’existe plus et Marcel sait qu’il en va de même
de sa propre vie dans laquelle, pour toujours, il ne se sera rien passé ».
Succession
de fins de mondes, de morts, de renoncements. Tout ce qui fait une vie.

La leçon que l’on retient de ce roman, comme de ces sermons
de Saint augustin, c’est que les crises, les effondrements, se nourrissent de
notre propre existence ; ce sont à chaque fois nos croyances, nos faux
espoirs, nos rêves, qui s’effondrent.

Forcément, on pense aussi à nos rêves d’entrepreneurs, à nos
espoirs et nos croyances qui nous font croire que nos entreprises sont
immortelles, que l’on peut transformer indéfiniment l’entreprise, sans imaginer
qu’elles puissent s’éteindre, s’effondrer, et muter vers autre chose, alors que
le monde lui-même, autour de nous, ne fait que muter. Les difficultés que nous
rencontrons sont peut-être comme la pression des tourments dont parle Saint
augustin dans son sermon :

«  Sous la
pression des tourments, tu te préparais à garder ta patience, ta constance, à
ne pas abandonner la foi, à ne pas consentir au péché. Si tu gardes cette
attitude, ou si tu la gardes à l’avenir, la pression des tourments ne sera pas
pour toi un effondrement : la pression des tourments aboutira à ce à quoi
aboutit le pressurage dans le pressoir, non à anéantir l’olive, mais à en
exprimer l’huile. Et si au milieu de cette pression des tourments, tu élèves
tes louanges vers Dieu, comme il est alors utile ce pressoir qui fait couler de
toi cette liqueur ! ».

En cette période où tout le monde autour de nous parle de
« la crise », le message de Saint augustin est comme un guide ;
la chute de Rome n’est pas une fin, comme cette « crise » n’est pas
une fin (ni même celle du capitalisme) :

«  Le monde est
ravagé, c’est la cuve du pressoir que l’on piétine. Eh bien ! Toi,
chrétien, rejeton céleste, vous, voyageurs sur cette terre, qui cherchez la
cité qui est dans le ciel, qui souhaitez entrer dans la société des saints
anges, comprenez que vous n’êtes venus ici que pour en partir. Vous traversez
le monde, en tendant vos efforts vers celui qui a créé le monde. Ne vous
laissez pas troubler par ceux qui aiment le monde, qui veulent rester en ce
monde et qui, bon gré mal gré, sont contraints de s’en aller ».

Cette rentrée est une belle occasion pour se mettre, plus
que jamais, à piétiner le pressoir de Saint Augustin, à ne pas s’attacher à un
monde, un projet, une entreprise, une stratégie, qui sont trop vieux.

Pour cela, il s’agit de ne pas confondre Rome et les
romains. Encore Saint Augustin :

«  Peut-être Rome
n’a-t-elle pas péri si les romains ne périssent pas ».

Soyons romains.

( Citations de Saint Augustin tirées de : »
Sermons sur la chute de Rome » deuxième sermon – Edité par l’Institut
d’études augustiniennes – Traduction de Jean-Claude Fredouille – 2004)

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