Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Le mouvement ETHIC (Entreprises à Taille Humaine, Indépendantes et de Croissance), animé par la dynamique Sophie de Menton, et dont mon entreprise, PMP, est membre, avait choisi de consacrer son colloque annuel, la semaine dernière, au sujet : « Quels patrons pour demain ? ». Cela permettait de rencontrer des patrons de toutes sortes, ceux des grandes entreprises publiques largement composées de fonctionnaires, des patrons de petites entreprises filiales de groupe américain, des entrepreneurs. Et aussi des politiques.
On a ainsi évoqué cette notion de « destruction créatrice », oui, celle de Schumpeter.
La thèse est connue : pour développer la richesse, il faut détruire pour ensuite reconstruire.
Raymond Soubie, ex conseiller social de Nicolas Sarkozy, redevenu consultant sur les sujets sociaux, nous l’a dit clairement : La destruction d’emplois, dans une proportion d’au moins 15% par an, est une condition nécessaire du progrès (mais pas suffisante, s’est-il empressé de nous signaler).
Et dans cette affaire, forcément, la destruction précède la construction, et cela est donc très mal perçu par l’opinion.
Ainsi, en France, selon lui, notre principal souci, c’est qu’on n’y détruit pas assez d’emplois ; on protège l’existant, les avantages acquis, le plus longtemps possible. C’est ce que Geoffroy Roux de Bézieux, présent également, a appelé « l’économie pouf » : En France, on amortit bien le crise, comme quand on s’assoit dans un pouf : on ne descend pas trop, mais comme on ne sait faire de destruction créatrice, on n’arrive pas à s’en relever. Contrairement aux « économies trampoline », qui détruisent plus, mais qui font repartir plus fort le développement.
Le pire est visible – mais pas uniquement – dans les entreprises où l’Etat est actionnaire. Les dirigeants de France Télécom ne se cachent pas pour dire, sans honte, que l’entreprise compte dans ses effectifs des milliers d’hommes et de femmes qui sont payées par l’entreprise, mais sans poste. Juste là enfermés, payés, pour exister à ne rien faire,…et déprimer. Cas typique de non destruction, et de non création de quoi que ce soit.
Et la SNCF, qui fait de la sauvegarde de l’emploi une posture, est le champion du monde pour le ratio des effectifs par kilomètre de voie ferrée (alors que dans de nombreux pays du monde et d’Europe, la transformation est en marche depuis longtemps). Et bien sûr, un endroit sans destruction créatrice visible, c’est dans les Administrations publiques (depuis 1980, il y a en France un million de fonctionnaires de plus), surtout dans les collectivités locales, Régions et Conseils Généraux (+ 67 000 recrutements rien que sur l’année 2010 !). (*)
Et cela empire : il plane en France, toujours selon Raymond Soubie, un nuage extrêmement dangereux ; ce n’est pas le nuage radioactif mais le « nuage du robespierrisme », en référence à Robespierre et aux heures noires de la Révolution Française. Cela conduit à une demande de protection, d’immobilisme, qui n’est pas du tout favorable à la destruction créatrice.
Pourtant, les enquêtes auprès des jeunes montrent que 30% voudraient créer leur entreprise, mais nombreux ne passeront jamais à l’acte, par peur.
Autre handicap pour la destruction créatrice, les carcans administratifs n’aident pas à faire grandir les entreprises. On aime bien les petites entreprises en France ; on leur donne toutes les qualités ; alors que les patrons des grandes entreprises sont montrés du doigt à travers les turpitudes de quelques-uns mises en scène par les médias. On les aime tellement, ces petites entreprises, que l’on ne veut surtout pas qu’elles deviennent de grands groupes. Regardons le CAC 40 : toujours plus ou moins les mêmes depuis vingt ans. Quel contraste avec ces groupes qui sont sortis aux Etats-Unis en moins de dix ans (Facebook, Google).
Comment changer ça ?
L’Etat peut-il y faire quelque chose ? Selon Raymond Soubie, son rôle devrait être de veiller à une réallocation des moyens de production des activités qui disparaissent vers des activités qui se développent. Ce sont des systèmes de réallocations financières, en finançant, non pas des subventions à des activités non rentables (surtout si elles emploient beaucoup de monde), mais des domaines porteurs d’avenir (des infrastructures modernes, des réseaux très haut débit, de la formation).
Mais ceux qui sont en première ligne pour donner un coup de booster à la destruction créatrice, ce sont les entrepreneurs et les patrons. Car ce sont eux qui vont porter la construction et la réallocation des emplois et capitaux détruits. Ce sont eux qui vont attirer les richesses des investisseurs qui seront sortis des activités en déclin, pour les réinvestir dans les idées innovantes et prometteuses qu’ils inventeront.
Ce sont ces entrepreneurs et ces patrons qui doivent monter au créneau, tous les témoins présents nous y appelaient, et porter cet espoir face à ceux qui ont peur, qui veulent protéger des emplois condamnés, et empêcher d’avancer. Ce sont ceux là, les patrons de demain. Cela commence dès l’école. Geoffroy Roux de Bézieux déplorait ainsi que la plupart des étudiants des grandes écoles, comme HEC, préfèrent rejoindre des cabinets de conseil prestigieux, ou des banques d’affaires, plutôt que de se lancer dans une carrière d’entrepreneur.
Pourtant l’esprit d’entreprendre, l’envie de créer, il existe aussi en France. Raymond Soubie se déclarait optimiste, refusant toute vision crépusculaire de notre pays, comme si tout était gris ou noir aujourd’hui dans le pays, comme aimerait parfois le dire certains politiques, avec une arrière-pensée pour promouvoir leur propre fond de commerce construit sur la peur et le repli. Il faut juste parler plus fort, et à plus de monde que ces oiseaux de malheur. C’est ce à quoi il nous appelait, nous les patrons et entrepreneurs.
Cela commence dès le collège peut-être.
J’étais justement cette semaine dans un collège parisien du 10ème arrondissement, grâce à l’association « 100 000 entrepreneurs », qui permet à des entrepreneurs de rencontrer des collégiens et lycéens pour faire connaître cet esprit d’entreprendre. Quel plaisir de dialoguer avec ces jeunes qui ont envie de créer, qui découvrent que prendre en main son destin c’est possible. Espérons juste que d’autres ne vont pas les dégoûter.
Cet esprit d’entreprenariat, il est également là dans le mouvement associatif (plus de 60 000 associations sont créées par an en France), car une initiative comme « les restos du cœur », qui répondent visiblement à un vrai besoin, font de Coluche une forme d’entrepreneur aussi.
Espérons que ces messages en faveur de la destruction créatrice encourageront les patrons et entrepreneurs à sortir et à mieux communiquer pour redonner de l’espoir à ceux qui doutent.
« Envie d’entreprendre » est d’ailleurs, assurément, une bonne tribune pour le faire savoir.
(*) : Chiffres notamment cités par Michel Godet, professeur au CNAM, dans son livre « Bonnes nouvelles des conspirateurs du futur »