Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président-Fondateur du cabinet de conseil en stratégie et management PMP et co-fondateur de Youmeo un innovation Lab et conseil en innovation
Les entreprises cherchent en permanence de nouveaux modèles d’organisations pour être encore plus performants. Quand un dirigeant veut transformer son entreprise, il pense souvent d’abord à refondre l’organisation et à distribuer les postes dans un nouvel organigramme qu’il a imaginé. Après avoir goûté aux organisations matricielles, aux organisations par projet, voilà que, grâce aux concepts « AGILE », on en vient à des organisations par pods, nodes, ou squads, ou tribus. Et là, ça chamboule tout.
C’est quoi ?
Un exemple est décrit dans le numéro de HBR de Novembre-Décembre 2018 par Gary Hamel et Michele Zanini, à propos de l’organisation « anti-bureaucratie » de Haier, leader de l’électro-ménager en Chine, depuis qu’il a racheté la Division électroménager de GE. Avec des revenus de 35 milliards de dollars, cette entreprise rivalise directement avec Whirlpool, LG ou Electrolux, sans parler de SEB ( 6 milliards d’euros).
Le CEO de Haier, Zhang Ruimin, a construit un modèle d’organisation complètement nouveau pour rapprocher au plus près les employés du client, ce qu’il a appelé « Zero distance ».
Haier a divisé son organisation en 4.000 microentreprises, notamment dans les activités industrielles, qui ont chacune 15 employés. Certaines de ces microentreprises comprennent plus de 15 personnes, mais alors les décisions sont prises par des entités à l’intérieur qui ne dépassent pas le chiffre 15 (un peu dans la logique du Lean Management). Ces Microentreprises (ME) comprennent trois catégories. Environ 200 sont des ME directement en contact avec le marché, et qui sont concentrées sur la réinvention d’elles-mêmes pour être toujours plus « centré client ». 50 sont des « incubateurs », qui inventent et développent de tous nouveaux business. Et puis, 3.800 sont des « nodes », ces entreprises support, qui apportent des services de design ou de ressources humaines, par exemple, aux autres MEs. Pour celles-là, il s’agit de vendre leurs services aux autres ME. Car les ME orientées marché sont libres d’acheter ou non les services de ces « nodes » : Chaque ME a environ plusieurs dizaines de « nodes » avec lesquelles elle contracte. Si elle n’en est pas satisfaite, elle peut en changer et contracter avec une autre, ou avec une entreprise externe. Les dirigeants n’interfèrent pas dans ses négociations. Ainsi, chaque année, les ME orientées marché doivent se poser la question, au regard de ses objectifs de performance : De quels services de Design, technologie, production, marketing, ai-je besoin pour atteindre mes objectifs ? Pour réguler le fonctionnement de ce marché, des règles de performance sont partagées, concernant la répartition des marges, ou des standards de performance. Si des « nodes » n’arrivent plus à satisfaire leurs « clients » internes, elles ferment. En outre, une part substantielle des revenus des « nodes » dépend du succès des ME qu’elles servent : Si une ME client vient à sous-performer, n’atteignant pas ses objectifs de performance, alors les revenus de ses « nodes » sont également impactés, ainsi que les rémunérations des employés du « node ». Ainsi, les employés des « nodes », tous, sont directement motivés pour aider leurs « clients » ME à réussir.
C’est comme cela que Haier veut créer, pour tous les employés, la meilleure expérience client. Comme le dit le CEO, « Chez Haier, nous ne payons plus nos employés ; ce sont leurs clients qui les paient ».
C’est aussi un moyen de facilité l’agilité et la flexibilité : Les ME orientées client sont libres de reconfigurer leur réseau de fournisseurs de services lorsque de nouvelles opportunités de marché apparaissent pour elles.
On peut néanmoins se demander comment on peut, avec un tel modèle d’organisation fonctionnant avec 4.000 unités indépendantes, lancer des programmes d’investissements, notamment dans les nouvelles technologies. En général, dans les grands Groupes, cela passe par des fonctions Corporate qui peinent parfois à se coordonner avec les unités opérationnelles. C’est comme ça que se développe les silos, les manques de communication, les « plans Groupe » qui n’embarquent pas les opérationnels.
Chez Haier, la solution mise en œuvre est totalement différente : l’entreprise a mis en place des « plateformes » qui permettent de rassembler des ME de même catégorie, par exemple pour développer des produits audiovisuels, ou des produits de lavage. Ces plateformes, qui peuvent rassembler environ 50 ME, sont en charge de construire de nouvelles compétences qui vont être partagées par les ME qui y participent. La mission du propriétaire de la plateforme (« owner ») est d’identifier les équipes qui vont en être membres, et à les aider à identifier ensemble les compétences et expertises à développer pour leur collaboration, par exemple dans le domaine de l’internet des objets connectés. Mais l’originalité, c’est que personne ne reporte au propriétaire de la plateforme, et celui-ci n’a pas non plus d’employés directement sous son contrôle. Son job est d’être le facilitateur des équipes qui vont participer à la plateforme , mais ce sont les équipes des ME elles-mêmes qui planifient et exécutent ensemble les développements décidés en coordination. Bien sûr, les propriétaires de plateformes ont aussi leurs objectifs : faire croître leur plateforme, pour faire naître et se développer de nouvelles ME orientées marchés et clients. C’est ainsi qu’est née la plateforme dédiée aux « réfrigirateurs connectés ». C’est pourquoi les propriétaires de plateformes se présentent plutôt comme des entrepreneurs que des facilitateurs.
Certains « nodes » sont d’ailleurs dédiés au service aux plateformes. Ils apportent des services d’ « intégration », qui consistent à aider les ME à importer les bonnes technologies, à l’intérieur de Haier. Ils identifient aussi les partenaires qui peuvent co-investir dans ces nouvelles technologies. Comme pour les propriétaires de plateforme, le job de ces « nodes intégrateurs » ne consiste pas à exercer un contrôle, mais à encourager et rendre possible la coopération.
C’est un véritable nouveau modèle de management qui se développe ainsi chez Haier, visant à faire de chaque employé un entrepreneur, et donc à éviter toute tentative de bureaucratie. Ainsi, le lancement d’un nouveau produit peut venir de tout entrepreneur interne à l’organisation, qui va poster en ligne dans le système maison son idée et rechercher des ressources internes pour rendre possible le business plan de ce nouveau produit. L’idée peut aussi venir d’un responsable de plateforme invitant ses ME et des externes à faire des propositions pour exploiter une nouvelle opportunité technologique. Enfin, les entrepreneurs potentiels externes à Haier, peuvent aussi venir pitcher leurs idées lors des roadshows que Haier organise dans toute la Chine tous les mois : les entrepreneurs locaux peuvent rencontrer les responsables de plateformes et des membres de la plateforme dédiée à l’innovation et à l’investissement.
Une nouvelle forme d’organisation anti-bureaucratie ? Le tout est de se lancer, et de se préparer à casser de nombreuses idées reçues et modèles mentaux. Peut-être que les inspirations viendront de l’Est grâce à Haier.