Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
C’est peut-être un de ces signes qui font prendre conscience que l’on vieillit … Tant pis, j’assume ! Ayant le bonheur de fréquenter quelques enfants d’une dizaine d’années, j’ai constaté une tendance qui me chagrine : ces diablotins sont perpétuellement occupés. Quant ils n’ont pas leur cours de guitare ou de GRS (pardon : gymnastique rythmique et sportive), ils se précipitent à l’anniversaire d’un copain de classe ou à une balade avec leurs parrain/marraine. Mais leur occupation favorite, celle qui les fait se réveiller (tôt) les week-ends au grand dam de leurs parents résignés, c’est de regarder l’ECRAN. Quel écran ?, demanderont les plus naïfs d’entre vous. N’importe lequel : celui de la télévision, de l’ordinateur, du lecteur DVD portable ou de la console de jeu tout aussi portable. Et je ne dirai rien des téléphones mobiles qui garnissent les cartables de plus en plus tôt.
Alors, voilà, c’en est fini de moi : je suis irrémédiablement devenu un réactionnaire bedonnant et cynique, pleurant après ma jeunesse perdue. En partie sans doute. Je pleure en effet une certaine idée de la jeunesse, mais pas pour moi ; pour eux que je vois constamment si affairés. Car, enfin, pour permettre à un enfant de développer sa curiosité, il doit passer par une phase que nous avons tous connue, étant enfants : S’ENNUYER. C’est bien à l’occasion de nos longues périodes d’ennui – les quadragénaires sont sans doute la génération des « enfants de la télé » mais celle-ci n’était pas constamment allumée -, que nous avons pris et commencé à lire ce livre offert par Tante Yvonne, « Les grandes espérances » de Charles Dickens. C’est bien ainsi que nous avons, petit à petit, développé notre imaginaire, nourri nos propres réflexions et notre goût pour l’art. Réfléchissez-y un moment et vous conviendrez avec moi (oui, vous, désormais réactionnaire bedonnant et cynique) que l’ennui a joué un rôle déterminant dans la construction de toute votre personnalité.
Admettons. Mais pourquoi vous raconté-je cela ?
Mon point est celui-ci : l’investisseur passe, lui aussi, trop de temps devant son écran d’ordinateur, à guetter en temps réel la moindre information qu’il pense, à tort, cruciale. En d’autres termes, pris en toute passivité sous les tirs croisés des sources d’informations, l’investisseur ne s’ennuie pas assez !
Les plus grands investisseurs de la planète (les Warren Buffett et les Walter Schloss) ne restent pas passivement devant un écran : ils REFLECHISSENT. Pour cela, ils doivent libérer leur esprit du « bruit » extérieur. Car leur réflexion se nourrit davantage de bon sens et d’aptitude analytique à partir de quelques données fondamentales que des aléas des derniers résultats trimestriels des entreprises ou de la variation du taux de change euro/dollar de la journée.
Alors, vous aussi, éteignez ce maudit ordinateur et mettez-vous à réfléchir. Tâchez de définir le style d’investissement et donc le profil d’investisseur avec lequel vous vous sentez le plus à l’aise. Quel est votre horizon de placement ? Quels sont vos points forts ? La résistance émotionnelle aux soubresauts boursiers, la capacité à déceler les bonnes stratégies d’entreprise ou à saisir l’air du temps, l’agilité mathématique vous permettant de trouver les bonnes affaires ? Ensuite, selon votre profil, posez-vous les bonnes questions dans la sérénité.
Pourquoi aujourd’hui investir dans tel secteur plutôt que dans tel autre, dans telle région du monde plutôt que dans telle autre ? Ensuite, quels sont les points forts de telle action par rapport à ceux de telle autre ?
Et sur la base d’un raisonnement structuré, après une réflexion déjà bien avancée, rallumez votre ordinateur et cherchez les informations susceptibles de confirmer mais aussi d’infirmer votre analyse. C’est alors une démarche résolument active et nettement plus productive. Inutile d’y passer des heures : au bout d’un certain temps, trop d’informations tuent l’information et peuvent engendrer un sentiment de fausse sécurité.
Pour finir, pesez le pour et le contre à partir des arguments que vous avez trouvés. N’hésitez pas à vous référer à des expériences passées tout en sachant que comparaison n’est pas toujours raison. Une fois votre décision prise, consignez-la dans un petit carnet en y ajoutant les deux ou trois principales raisons qui vous la font prendre. Dans les semaines et les mois suivants, revenez-y régulièrement et vérifiez que les raisons qui vous ont ainsi poussé à agir (ou à ne pas agir) sont toujours présentes. Si ce n’est pas le cas, reconsidérez le problème une fois encore avant d’éventuellement changer de direction. Sereinement. Sans écran.