Par Michel de Guilhermier (contributeur) – Entrepreneur
"L'eCommerce est mort" avait lancé en 1er le CEO d'Ebay John Donahue il y a 2 ans de cela, affirmation reprise très vite un peu partout, et le nouveau buzzword à la mode devenait alors "cross canal" !
Wow, on découvrait – ou on semblait découvrir – que le consommateur n'était pas mono-canal, et qu'on devait le prendre comme un tout…Bravo les pti loups, ça c'est du travail conceptuel de fond…On s'enlève des oeillères, on comprend enfin ce qu'il se passe, et on érige alors en nouveauté révolutionnaire ce qui est une réalité fondamentale depuis tout le temps.
Petite déduction simple, il y a 2 ans quand ces buzzwords de "multi canal" et "cross canal" se sont propagés, l'eCommerce devait représenter environ 5 à 6% du commerce, ce alors que 50 à 60% des gens étaient déja cyber consommateurs. ce qui veut simplement dire que, en moyenne, chaque consommateur achetant sur le web n'y consacrait que 10% de son portefeuille, le reste allant dans le retail. Dit différemment, le consommateur est, presque par définition, multi canal. Il ne raisonne pas par canal, il cherche simplement à acheter le produit qu'il souhaite à des bonnes conditions, off ou online.
Les années passent et les buzzword changent. Actuellement, ce qui est très trendy aujourd'hui c'est de parler de "digitalisation du point de vente" et de "magasin connecté". Le retail se fait grapiller année après année des parts de marché par l'eCommerce – qui représente actuellement environ 7 à 8% du commerce (hors secteur du voyage) – alors qui sait, en digitalisant les magasins ça pourrait le sauver du marasme ?
La vérité est pourtant simple, tous les gimmicks du monde ne changeront jamais l'essentiel du commerce, qu'il soit offline ou online : l'offre produits elle-même d'une part, et la relation client d'autre part. Les vrais levier de CA sont bien là.
Une chaîne française de magasins avait entrepris il y a quelques temps de se "remodeller", avec un nouveau design des points de vente (qui avait impliqué une grande agence française de design), ce sans réel résultat probant sur le terme (passé l'effet surprise qui de fait attire bien de nouveaux curieux). Mais en travaillant par la suite son offre produits en prodondeur, là la courbe du CA avait été significativement infléchie.
Prenons aussi cette grande chaîne US de prêt-à-porter qui a décuplé son CA en 10 ans, multipliant les points de vente (des centaines de magasins) et jouissant d'un canal eCommerce qui représente 30% de son CA. Forcément, elle a les bons produits, sinon ni son retail ni son web ne marcheraient bien…
Vendez aux consommateurs de la merde, vendez leurs des produits sans intérêt ou bien trop cher, et vous verrez si le "cross canal" ou la "digitalisation du point de vente" change quoi que ce soit à la problématique…
Revenons à l'essentiel, la 1ere question qu'un retailer ou un eCommerçant doit se poser, et de savoir s'il dispose bien de l'offre adéquate.
Je n'ai encore jamais vu un retailer moyen formidablement réussir en eCommerce, ni un eCommerçant à l'offre moyenne et en perte de vitesse réussir son retail :
- ie Pixmania, en vente par son actionnaire Dixons Retail, qui est en baisse de CA et perd une petite fortune, et qui vient de fermer tous ses magasins physiques.
- Ou encore JC Penney, la chaîne US de grands magasins, dont le CA tant retail que web a baissé en 2012 car les produits et les prix n'étaient plus adéquat. En fait, son CA Web s'est même effondré passant de 1,6Mds$ à 1Mds$ seulement, pire que la décroissance globale de la chaîne qui est passée de 17Mds$ à 13Mds$, ce alors que des concurrents comme Macy's ou Kohl's voyaient leurs ventes sur Internet bondir de 40%…
Le changement majeur et structurant qu'on observe depuis une douzaine d'années avec Internet et plus généralement le numérique, c'est que maintenant le consommateur dispose de puissants outils de choix et de comparaison. En conséquence, si l'offre du commerçant (encore une fois, retailer ou eCommerçant) n'est pas pertinente, pour une raison ou une autre (de manière générique : qualité du produit, prix, qualité du service, image de marque), il peut le savoir très rapidement et ira alors acheter ailleurs un autre produit ou alors le même à un prix moindre. Le nombre de fois où j'ai vu à la FNAC un DVD qui m'intéressait pour immédiatement scanner son code barre et le commander sur Amazon 20% moins cher…
Il y a 20 ans, la valeur d'un produit était souvent induit par sa distribution, tout simplement parce que le consommateur ne pouvait pas réellement savoir quel était son prix ailleurs, ni passer son temps à faire le tour de la zone de chalandise. Et avec de bons vendeurs et un environnement propice, le tour était joué. Ceci est définitivement un concept du passé, car le consommateur peut comparer immédiatement (avec son smartphone, cf plus haut). L'information et le produit sont juste one click away, one second away. Pire, avec la livraison le jour même, sans compter éventuellement sous 2h, le retail peut perdre son dernier avantage qui était celui de la disponibilité immédiate.
Bref, retailers, à l'heure du numérique, votre priorité n°1 n'est pas de vous précipiter à perdre du temps et de l'argent à digitaliser ou scénariser vos points de vente, mais bel et bien d'abord de vous assurer que votre offre est parfaitement adéquate, compétitive, différenciante. Point assez évident, à une époque où le consommateur peut comparer en quelques secondes, il faut évidemment avoir une proposition de valeur fortement différenciante, unique, ainsi qu'offrir de l'intangible et de l'incomparable, ce qui fait aussi retomber logiquement sur des valeurs de "marque".
Travaillez d'arrache pied votre offre, sa pertinence et surtout sa différenciation, c'est la priorité, le reste suivra, mécaniquement, off et online. Apple a par exemple un retail exceptionnel (CA et rentabilité au M2 et par employé), et est également le 3ieme eCommerçant au monde par la taille. Les 2 canaux croissant très fortement en parallèle.
Une marque forte, jouissant d'une offre forte, pertinente, différenciée, cartonnera aussi bien dans le physique que sur le web. Et inversement, une marque ou une enseigne ne jouissant pas de cela ne marchera ni en retail, ni sur le web. Ainsi va pour, par exemple, Estée Lauder ou Urban Outfitters (x50 à x100 des ventes web en 10 ans), ou à l'inverse RadioSchack, une chaîne de distribution US qui connaît de graves problèmes et qui en 10 ans à vu son CA web baisser de 20%…
Une fois que ce problème fondamental et prioritaire de l'offre est calé, là, oui, passez à l'étape suivante en vous demandant comment leverager un maximum votre présence physique et online en offrant des services complémentaires et des passerelles entre les divers canaux, ce qui induira la question non seulement de la digitalisation des points de vente, mais aussi l'utilisation du mobile avec par exemple le système EasyPayd'Apple (on se sert, on scanne, on paye online sur le mobile, et off you go. je m'en suis déja servi 5 ou 6 fois au magasin Opéra), la remontée d'info avec Critzr, l'attribution de points avec Shopkick, etc.
Je pense d'ailleurs que le mobile, avec par exemple les 3 systèmes ci-dessus, aura un impact bien plus fort sur le point de vente que la tablette. Au dela de "digitaliser" le point de vente en l'équipant de tablettes par exemple, l'objectif me semblant plus être de le connecter à l'extérieur. Et hop, on retombe sur un autre buzzword encore plus récent, celui de "magasin connecté" ! Et la, en effet, il y a énormément à faire.
Le web a des economics différents de ceux du monde physique dans ses coûts de gestion et ses coûts d'acquisition client (les 2 grandes composantes). Il faut bien comprendre cela, bien comprendre les dynamics d'economics avec la volumétrie, car ça induit que pour certains types de produits le web deviendra certainement à terme le killer canal, faisant naturellement mourir certains retailers, alors que pour d'autres le physique restera plus que très probablement prépondérant.
Dernier point important, pour un retailer, il ne s'agit pas d'optimiser isolément son retail et son eCommerce, mais bel et bien de raisonner globalement en minimisant tout simplement les coûts d'accès et de distribution aux clients. Je rencontrais il y a quelque temps un grand retailer, énorme leader dans son secteur, qui me disait que plus il poussait son eCommerce, plus il dépeuplait certains magasins, ce qui évidemment le laissait perplexe. Tant qu'il raisonne comme ça, il est cuit en effet. Qu'il mette dans son équation l'ensemble des coûts, off et online, et là il pourra vraiment optimiser rationnellement, et il verra qu'il peut sans problème pousser son eCommerce en créant globalement de la valeur.
Back to basics !