Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP
Vous êtes pâtissier. Quel est le produit que tous les clients s’attendent à trouver dans votre vitrine ?
Au hasard, on pourrait dire une « religieuse », ce gâteau à la crème, au chocolat ou au café.
Si vous êtes consultant, quelle est votre religieuse ?
La religieuse du consultant, c’est un produit qui a l’air tout simple, très banalisé : le « diagnostic ».
On peut l’appeler diagnostic, audit stratégique, évaluation de la performance,…
Le principe est le même : il s’agit d’une investigation sur une courte durée, systématique, et apportant un regard neutre et objectif, ce que l’on appelle « l’œil neuf ».
Pourtant ce produit très simple en apparence ne l’est pas tant que ça.
Première chose à observer, le prix.
Proposer un « diagnostic gratuit » (ce que pourrait imaginer le consultant qui anticipe pouvoir vendre ses services ensuite à bon prix, après avoir fait du teasing avec ce diagnostic gratuit), c’est le signe que le « diagnostic » vaut son prix, c'est-à-dire rien. Il est pratiqué par ceux qui essayent de tromper, qui ont une idée derrière la tête, mais surtout pas l’envie d’apporter ce regard neutre et objectif.
Et puis, la plupart du temps, le dirigeant de l’entreprise ne s’intéressera pas à ce diagnostic, ne s’appropriera pas les conclusions, justement à cause de son caractère gratuit, et ce, quelles que soient la valeur et la pertinence des recommandations.
Autre piège du « diagnostic » : le consultant qui part trop vite dans les investigations. Là encore, grave erreur.
Comprendre les motivations profondes.
Quand on me demande un diagnostic, je passe beaucoup de temps à comprendre les causes profondes de la demande.
Vous voulez que je fasse un diagnostic de votre Direction Financière, mais pourquoi ?
Parce qu’elle ne fonctionne pas bien.
Mais qu’est ce qui ne fonctionne pas bien ? Mes N-1 n’arrêtent pas de se quereller.
Mais pourquoi ?
Leurs postes ne sont peut-être pas très bien définis.
Mais pourquoi ?
Je ne sais peut-être pas animer mon Comité de direction.
Etc.…
Il faut parfois, dit-on, cinq « pourquoi ? », avant de bien comprendre.
C’est en allant ainsi au fond de la demande, consciente, mais souvent inconsciente, que l’on prépare au mieux le diagnostic.
Ce temps passé à comprendre et à écouter est précieux.
C’est la différence entre le consultant qui veut servir, et celui qui est prêt à partir au quart de tour, sans avoir pris le temps de cette écoute, et qui va, comme on dit, « tomber à côté de la plaque » et décevoir son client.
Ne pas sacrifier à la vitesse ni à la « méthodologie »
Ce « diagnostic » demandé, le client le veut « vite », c'est-à-dire pas trop cher ; il veut du « quick and dirty », il veut les conclusions tout de suite.
Pour cela certains « consultants » se bâtissent des « questionnaires standards », des listes de questions qu’ils déroulent dans toutes les situations.
Ce genre de diagnostic ne vaut, selon mon expérience, pas grand-chose.
Ce n’est pas parce que la demande est pressée qu’il faut dérouler la même chose pour tout le monde, sans réfléchir.
Au contraire, la part de « customisation » est essentielle.
Le bon diagnostic est celui conduit par le consultant qui sait faire travailler son intuition, son feeling, plutôt que de dérouler sans réfléchir une pseudo méthodologie.
Les « méthodologies » sont utiles pour conduire les diagnostics de manière professionnelle, mais elles ne sont que des moyens pour mener le travail.
Le client qui demande un « diagnostic » au consultant va l’évaluer sur sa vision, sa capacité à proposer des solutions originales et qui vont l’aider à réussir ; il ne s’occupe pas de la « méthodologie » que vous utilisez.
Le consultant qui devient un esclave de sa « méthodologie » perd tout ce qui constitue sa valeur en tant que consultant, sa capacité à proposer, à prendre des risques.
Les méthodologies sont utiles, mais ne remplacent pas l’expertise et le jugement professionnel du consultant ; si vous n’avez ni l’une ni l’autre, jetez vos « méthodologies » et changez de métier.
Avoir un cadre référentiel
Quelle que soit la « méthodologie », le consultant qui entreprend de conduire un « diagnostic » va se poser la question : diagnostic par rapport à quoi ?
Un cadre de références est nécessaire.
Faudra-t-il utiliser le « benchmark » des meilleures pratiques ? Oui, à condition de le connaître.
Ou au contraire tenter d’imaginer ce que personne ne fait, une nouvelle façon de travailler, un mode d’organisation original.
Là encore, méfions nous des « faux benchmark », ou le consultant, qui a une fois préconisé une solution, a érigé ce cas particulier en généralité et répète, rabâche, tout le temps la même solution. Parce que « c’est comme ça », « tout le monde fait comme ça »…Je fuis, pour ma part ce genre de conseils, car je me méfie des solutions « que tout le monde fait ».
Par contre, un référentiel utile sera celui qui me permet de ne rien oublier dans mes investigations, de choisir parmi ces sujets ceux qui sont réellement appropriés à la situation qui m’est confiée.
Cela consiste à disposer des attributs sur lesquels je vais évaluer l’entreprise, avec les bonnes questions, mais surtout pas des réponses toutes faites.
Faire adopter le diagnostic par le client : 75% du temps et de la réussite.
Ce n’est peut-être pas toujours 75%, mais ce qui est sûr, c’est que le temps passé par le consultant à dialoguer, confronter les avis, évaluer ce qui est faisable, les stratégies d’exécution pour exécuter les recommandations, sont les ingrédients les plus précieux d’un diagnostic.
Des recommandations bien emballées, mais que le client n’arrivera pas à mettre en œuvre, voilà de quoi créer des frustrations ou pire.
Le consultant qui se veut utile fait très attention à ce point.
Il va passer beaucoup de temps à se faire vraiment « conseil » du client, et non « donneur de leçons ».
Il va aller chercher les hésitations, il va écouter les peurs, l’histoire (« nous avons déjà essayé ce type de solutions dans le passé, mais cela n’a pas marché. »… « Parlons un peu de cette expérience ; qu’est ce qu’il faudrait faire de différent pour que cela marche cette fois-ci ? »..).
Oui, le consultant qui est expert en diagnostic est toujours en questionnement, il pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses toutes faites. Il construit les recommandations et les solutions dans un processus collaboratif avec son client.
Celui qui croit que « faire le consultant », cela consiste à avoir réponse à tout, à étaler des « je sais tout » en permanence, celui-là va avoir du mal et fera beaucoup de mal à ses clients.
L’art du diagnostic, c’est comme l’art des religieuses du pâtissier : le produit a l’air banal, mais c’est dans l’attention, le choix des ingrédients, l’amour que l’on met dans la préparation, la générosité dans l’écoute des vrais besoins, que l’on fait toute la différence.
Comme pour tout métier de service, c’est parce que l’on aime servir que l’on réussit.