Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
La crise financière et économique soumet la Bourse (et les nerfs des
investisseurs) à rude épreuve. Seuls les amateurs de montagnes russes doivent en
effet y trouver leur compte ! Faisons le point : entre le 9 mars
(point bas) et le 27 avril (date à laquelle j’écris cette chronique), le CAC 40
a repris pas moins de 23%. Dans le même temps, aux Etats-Unis, le S&P 500
(reprenant les actions des 500 principales entreprises américaines) regagnait
28%.
Impressionnant ? L’ampleur de ce mouvement est en effet
marquée. Mais, en relativisant, disons que les niveaux actuels nous ramènent à
ceux du début … février (2009 donc), ou encore aux alentours de ceux du mois de
novembre dernier.
La question est donc celle-ci : à
ces niveaux boursiers, que doit faire l’investisseur ? Profiter du
mouvement haussier en espérant qu’il prenne de la vitesse ? Vendre en
considérant que le pire est à venir sur le front de l’économie (dite
réelle) ? Privilégier certains types d’actions ?
A l’occasion d’une chronique précédente (en octobre dernier), j’avais
opté pour une tonalité rassurante basée sur deux éléments : une
dépression économique mondiale longue ne semblait pas être à l’ordre du jour et
les niveaux boursiers semblaient avoir purgé leurs excès antérieurs. Six mois
plus tard, je reste sur la même position. Ce qui est surtout rassurant, c’est
de constater qu’alors que, sur cette période, les journaux n’ont pas cessé de
placer des nouvelles économiques catastrophiques à leurs unes, les Bourses ont
certes joué au yoyo mais se retrouvent néanmoins finalement à des niveaux assez
proches de l’automne dernier. C’est assurément le signe que les investisseurs
considèrent que la forte réaction à la baisse avait été suffisante et que les
mesures prises un peu partout par les gouvernements des pays les plus touchés
ont permis d’éviter la catastrophe.
OK.
Mais la bourse
est-elle actuellement bon marché ? Sur ce point, je resterai prudent. Une
excellente référence pour se faire une idée de l’actuelle valorisation
boursière (en l’occurrence américaine – mais, globalisation oblige, gageons que
le raisonnement peut valoir aussi pour notre « vieille Europe ») est
le site de l’économiste réputé Robert (call-me-Bob) Shiller : en effet, en
remontant à partir de 1881, il a calculé et compilé, à raison d’une donnée par
mois, les valeurs des ratios Cours/Bénéfices du S&P500, ajustés pour tenir
compte des cycles économiques (en anglais CAPE ou Cyclically Adjusted
Price/Earnings). Pour le mois de mars 2009, cette valeur était de 13,1. Si nous
sommes revenus à des niveaux plus raisonnables qu’en janvier 2008 (avec un CAPE
de 24), nous ne serions pas encore à un niveau globalement acheteur (qui serait
historiquement aux alentours d’un CAPE de 9). Vous trouverez ces données
ici : http://www.econ.yale.edu/~shiller/data/ie_data.xls.
Donc : si nous ne parlons plus de
niveaux boursiers excessifs, il est pour le moins prématuré d’acheter
aveuglément en Bourse.
N’y a-t-il pour autant vraiment rien à acheter ? Bien sûr que
si mais à condition de faire preuve de lucidité. Et ici, deux écoles
s’affrontent – c’est d’ailleurs, vous l’aurez remarqué, souvent le cas en
matière boursière. Pour certains, l’occasion est belle d’acheter des actions de
grande qualité avec des finances saines et des perspectives de croissance
supérieures à l’économie. Pour d’autres, il faudrait continuer à privilégier
les valeurs qui ont le plus profité du récent rebond, à savoir celles qui
avaient le plus souffert depuis le début de la crise (secteur financier et
secteur de la consommation discrétionnaire, comme le secteur automobile).
Certes, ces entreprises sont en moins bonne santé mais leur valorisation resterait
bien trop faible. Qu’en penser ? La vérité est sans doute au milieu. Comme
le remarque Rob Arnott, le fondateur de Research Affiliates, dans le Financial
Times du 27 avril, la différence de valorisation (en terme de multiples
Prix/Valeur Comptable des fonds propres et toujours pour le marché américain)
entre les actions dites de croissance (« growth stocks ») et les
actions dites de substance (« value stocks ») est à un niveau
historiquement élevé : les « growth stocks » jouissent d’une
prime de 140% par rapport aux « value stocks ». Les « growth
stocks » seraient donc aujourd’hui à des niveaux trop élevés,
comparativement aux « value stocks ». Ce qui pourrait laisser
supposer que ce sont ces dernières qui devraient performer le mieux en cas de
poursuite de l’embellie boursière.
Donc : ne vous précipitez pas sur
les actions d’entreprises « impeccables » car votre rendement pourrait s’avérer faible, d’autant plus que
le rythme de reprise économique n’est pas attendu très élevé ; mais ne
vous jetez pas non plus sur des actions d’entreprises « pourries »
sur le simple prétexte qu’elles seraient bon marché car vous risquez alors de
vous brûler les ailes (risques de faillites). Le Graal réside dans des actions
d’entreprises assez solides et
présentant une valorisation assez
faible. Et, alors que la volatilité pourrait rester élevée, n’ayez pas peur de
vendre si vous réussissez des bons coups.