Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier
Ceux d’entre vous qui me lisent régulièrement – je suppose en toute immodestie que vous devez être quelques-uns – savent déjà que je ne suis pas un grand amateur des actions d’entreprises qui se caractérisent par une croissance bénéficiaire attendue (ou espérée) supérieure à la moyenne.
Pourquoi diable serait-il donc déconseillé d’investir dans les entreprises les plus prometteuses en matière de croissance future ?
Devant le caractère contre-intuitif de ce postulat, il m’a semblé que seule une étude empirique « imparable » serait susceptible de venir à bout des réticences des investisseurs les plus sceptiques. Fort heureusement, récemment, des chercheurs américains (Arnott, Li et Sherrerd en 2008) ont publié un excellent papier apportant la preuve recherchée. Leur démarche, reposant sur le concept de « clairvoyant value », est simple : analysant les entreprises américaines et leurs actions sur une période de 51 ans (de 1956 à 2007), ils ont calculé les cours « théoriques » des actions à chaque année t en se basant sur la réalité ex-post (et donc connue) de l’évolution des bénéfices (t+1, t+2, t+3, etc.) et les ont comparés aux cours réels. [N’oubliez pas ici, pour la clarté de l’exposé, que les cours boursiers sont censés anticiper les résultats futurs des entreprises.] En d’autres termes, quelle serait la valeur à tout moment d’une action en connaissant précisément l’avenir de la progression bénéficiaire de l’entreprise ? Et, sur cette base, les cours (réels historiques) des actions étaient-ils sous-évalués, correctement évalués ou surévalués ?
Leurs conclusions sont très intéressantes. D’une part, la Bourse valorise plus généreusement les actions d’entreprises qui connaîtront effectivement une croissance bénéficiaire supérieure à la moyenne. Et, symétriquement, elle est plus frileuse pour les actions d’entreprises moins performantes. En conséquence, oui, assurément, la Bourse sépare bel et bien le bon grain de l’ivraie en matière de perspectives de croissance. Mais – et c’est un gros « mais » – cette même Bourse exagère la prime à payer pour les actions dites de croissance (« growth ») ; autrement dit, elle exagère en moyenne l’ampleur de la croissance bénéficiaire future tandis qu’elle surestime également les difficultés des actions dites de substance (« value »). Pire : cette exagération est quasiment systématique, en ce qu’elle s’est concrétisée au cours d’une très large partie des 51 années étudiées. Résultat ? C’est très clair. L’investisseur qui aura opté pour des actions de croissance aura surpayé pour les obtenir et récoltera donc des rendements (dividendes et hausses des cours) décevants (voire négatifs). Par contre celui qui aura choisi des actions d’entreprises aux perspectives peu alléchantes a toutes les chances d’obtenir de bons rendements car il les aura obtenues à un prix plus bas que leur valeur réelle.
Une telle étude démontre, une nouvelle fois, que la Bourse n’est pas rigoureusement efficiente, à l’inverse de ce que certains esprits dogmatiques et étriqués voudraient nous faire croire. Une Bourse efficiente corrigerait en effet ses erreurs. Or, ce n’est manifestement pas le cas puisqu’elle surpaie systématiquement et sans raison apparente les actions de croissance. Aux investisseurs avertis d’en profiter !
Ceux qui sont intéressés à consulter l’étude dont il est question ici la trouveront (en anglais) à cette adresse : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1263127