Petite chronique boursière : « Secteur, mon beau secteur… »

Vincent_colotPar Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

C’était inévitable.

Alors que les banques centrales se montrent un peu plus réalistes et donc un peu plus prudentes ; en d’autres termes, alors que la longue période d’argent hyper bon marché semble toucher à sa fin, les vendeurs de produits financiers cherchent une nouvelle parade pour continuer leurs bonnes affaires.

Ce n’est donc pas une surprise si on voit revenir, ici ou là, la botte magique constituée par les secteurs de croissance. Des fonds estampillés “secteurs d’avenir” sont mitonnés à toutes les sauces. Il est vrai que les thématiques, toutes plus alléchantes les unes que les autres, ne manquent pas, se recouvrant parfois partiellement : vieillissement démographique, robotique, cyber-sécurité, biotech, impression 3D, énergie renouvelable, agriculture bio, numérisation, traitement des eaux, etc etc. Jusqu’à plus soif.

Est-ce donc une bonne idée de miser sur de telles tendances dites “de fond” ? Les secteurs présentés comme d’avenir représentent-ils une aubaine pour les investisseurs ?

Je ne le crois pas.

Si je devais en résumer la raison en une formule lapidaire, je ferais appel au bon sens populaire : “Tout ce qui brille n’est pas or”.

Mais allons dans le détail.

Tout d’abord, une évidence. Contrairement à ce que l’on veut trop souvent nous faire croire, l’avenir n’est pas écrit d’avance. Parmi toutes ces tendances, présentées comme inévitables, certaines aboutiront dans des culs de basse-fosse de l’histoire industrielle. Imaginez un instant que, demain, les scientifiques prouvent de façon irréfutable que le réchauffement climatique n’est pas provoqué par l’usage immodéré des énergies fossiles mais par l’activité solaire. Croyez-vous vraiment qu’alors le secteur des énergies renouvelables aurait encore un bel avenir devant lui ?

Ensuite, le raisonnement économique est un peu plus complexe que “croissance = bénéfices = cours boursiers en hausse”, surtout pour des secteurs dans leurs premières phases de développement. Imaginons qu’un secteur d’avenir ait pu être correctement identifié dès le départ. Les premières entreprises présentes sur ce créneau, en tant que “pure players”, sont fragilisées par leur inexpérience et donc présentent un taux de mortalité (faillite) potentiellement élevé. Ensuite, pour celles qui subsisteront, le développement de leurs activités exigeront des moyens financiers de plus en plus importants. Aller chercher de nouveaux capitaux ne manquera pas de diluer les actionnaires de la première heure. Sans doute, la capitalisation boursière du secteur augmentera rapidement mais l’évolution des bénéfices par action sera nettement moindre. A cela s’ajoute que, dans une économie de marché ouverte (avec, qui plus est, de nouveaux pays ambitieux, comme la Chine, l’Inde, le Brésil, etc), de nouveaux acteurs se joindront régulièrement à la fête, s’ils y voient une opportunité de bénéfices intéressants à terme. Et au fur et à mesure du “remplissage” sectoriel, le gâteau, finalement moins savoureux qu’il ne semblait au départ, se partagera entre de plus en plus de convives et donc les parts individuelles seront de plus en plus petites. Sauf au prix d’une vista phénoménale de la part de son gestionnaire (qui n’achèterait que les entreprises qui s’avéreront in fine les plus performantes), cette dynamique est évidemment préjudiciable à tout fonds (et donc aux actionnaires de ce fonds) qui investit dans un tel secteur. Une exception peut-être : le cas d’un secteur où, une fois qu’un nombre réduit d’acteurs occuperaient le terrain, des barrières à l’entrée (financières, technologiques, …) seraient telles que de nouveaux intervenants ne pourraient venir les concurrencer. Mais, quoique séduisante en théorie, cette hypothèse ne semble guère réaliste, du moins dans les premières phases de développement d’un “secteur d’avenir”. 

Et voilà donc pourquoi, comme souvent en économie et en Bourse, une évidence n’est souvent qu’une apparence.

Des précédents historiques existent. Souvenez-vous, si vous n’avez pas moins de 40 ans, des promesses initiales des pays émergents lorsque les premiers fonds pour y investir ont été proposés au grand public. En 25 ans, même si ces pays ont effectivement connu une croissance économique supérieure à celle des pays développés, leurs performances boursières d’ensemble n’ont pas été meilleures : un rendement plus ou moins équivalent au prix cependant d’une plus grande volatilité. La belle affaire … Dans un article de fin 1999 paru dans le magazine “Fortune”, alors qu’il mettait les investisseurs en garde contre les excès de la Bourse, Warren Buffett évoquait l’histoire industrielle et boursière de deux secteurs appelés, plusieurs décennies plus tôt, à révolutionner le transport : l’automobile et l’aviation. Dans les deux cas, la fortune promise aux investisseurs ne s’est pas matérialisée. A l’époque de cet article, le cas du secteur Internet à la fin des années 90, laisse encore un goût amer pour beaucoup aujourd’hui. La bulle qui s’était alors développée s’était évidemment nourrie des perspectives de croissance, a priori illimitées de ce secteur. Mais là, déjà, l’explosion de la concurrence, les investissements gigantesques et des perspectives trop lointaines de bénéfices ont eu raison de l’optimisme boursier. Il est vrai que, dans un second temps, depuis 10 à 15 ans, lorsque la poussière fut retombée, quelques gros acteurs (les fameux GAFA pour simplifier) ont largement cadenassé le secteur, dans un domaine où un leader technologiquement sérieux peut bénéficier d’un avantage certain.

La morale prévaut : amis investisseurs, méfiez-vous des secteurs d’avenir : vous les paierez trop chers (frais d’entrée exorbitants de certains fonds spécialisés et valorisations souvent déjà élevées des actions concernées du fait d’un effet de mode) et vous ne récolterez, au-delà éventuellement de quelques trimestres de spéculation toujours possibles, que de la désillusion.

Retenez-en la raison qui est économique : la rentabilité du capital investi a tendance à baisser, au fur et à mesure de la croissance de l'activité, avec l'augmentation des capitaux nécessaires et avec l'augmentation de l'offre concurrentielle

Secteurs d’avenir ? FAKE NEWS !          

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