Sentiment d’urgence : gardons les yeux ouverts

Gilles MartinPar Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

C’est la rentrée ; chacun retrouve ses occupations, ses clients, ses activités, ses process : la routine.

Alors que l’on nous dit que le changement est partout, que l’on doit constamment s’adapter, finalement, on n’y croit pas trop. On se dit que la façon dont nous fonctionnons, puisque ça a marché jusque-là, peut sûrement encore servir.

En fait, globalement, le changement, on n’aime pas ça. C’est pourquoi les plans de transformation, les grands changements, ce n’est pas facile à mettre en œuvre.

Ce qui fait le plus sûrement bouger, c’est ce que l’on appelle un « sentiment d’urgence ». Cela ne veut pas dire se lancer dans des actions immédiates, en urgence, pour résoudre un problème (une proposition client à rendre pour demain soir, une livraison pour aujourd’hui, un appel téléphonique à passer). Ces comportements sont plutôt de fausses urgences. Chacun dans son coin s’occupe de ses affaires, de ce qu’il sait bien faire, sans se remettre en cause. Personne ne s’intéresse vraiment à la stratégie d’ensemble de l’entreprise, ni aux menaces ou opportunités. Ce fonctionnement n’est pas réservé aux grandes entreprises. Même de petites entreprises peuvent être frappées par ce syndrome. L’entreprise est une cohabitation de « silos », qui vivent repliés sur eux-mêmes, et ne se préoccupent pas trop de ce qui se passe à l’extérieur. Les changements à venir ou en cours dans leur secteur, et celui de leurs clients,  font l’objet d’articles quotidiens dans Les Echos, par exemple, mais les collaborateurs, pris dans leur quotidien, passant d’une réunion à l’autre, d’une urgence à l’autre, ne prennent jamais le temps de parler entre eux de ces changements, et parfois ne lisent même pas les journaux ou les livres qui pourraient les faire réfléchir et prendre de la hauteur.

Inversement, le sentiment d’urgence cela signifie qu’un nombre significatif de personnes se lève chaque matin avec, dans la tête et dans le cœur, un désir profond de faire quelque chose pour emmener l’organisation vers une opportunité stratégique importante. C’est comme une énergie partagée qui circule dans l’entreprise.

Ce sentiment est difficile à créer. Le plus étonnant c’est que le dirigeant a parfois conscience de cette opportunité stratégique ; il la partage aussi avec les consultants qui l’ont aidé à y réfléchir. Et puis, derrière lui, il ne se passe rien. Cela ne se déclenche pas, ou ne va pas assez vite.

Alors, comment faire pour créer ce « sentiment d’urgence » et rendre agile et réactive l’entreprise face aux turbulences ? On trouvera des réponses dans le  dernier livre de John P. Kotter, gourou du management, «  XLR8 – Accelerate ». Il y décrit notamment le système qui lui paraît le meilleur pour mener ces changements : une double organisation. Une organisation hiérarchique, telle qu’on la connaît, pour l’efficacité au quotidien, et la conduite du « business as usual » ; et une organisation en réseau, sous forme de groupes de projets qui s’approprient les initiatives et se déploient sans lien avec la hiérarchie et les procédures de l’autre organisation. C’est ce qu’il appelle un « système dual ». Les mêmes personnes agissent en même temps dans les deux organisations, passant de l’une à l’autre.

Ce qui déclenche la transformation, c’est justement ce « sentiment d’urgence ». Et ce qui aide à le provoquer c’est la prise de conscience de ce qui se passe dans l’environnement, et la réflexion sur ce que cela signifie pour l’entreprise, en étant ouvert à de nouvelles possibilités. C’est ce que Kotter appelle «  Bringing the outside in ». Car les grands changements sont en général inspirés par l’extérieur et non par l’intérieur de l’entreprise. Cela nécessite de d’utiliser tous les mécanismes possibles de communication pour importer de nouvelles réalités. Par exemples des intervenants externes pour témoigner lors d’évènements et de séminaires, aller visiter d’autres organisations et entreprises (Learning Expeditions), mais aussi recruter des personnes qui savent aborder les turbulences que l’entreprise connaît. C’est aussi savoir solliciter les employés eux-mêmes, au contact des changements : les vendeurs voient tous les jours les clients, contrairement aux managers des fonctions support et du Corporate. C’est aussi encourager les dialogues à propos de ces nouvelles opportunités, et non se refermer dans les préoccupations quotidiennes uniquement.

Pour créer cette agitation favorable, une autre pratique est de faire la publicité sur les initiatives prises par les managers pour saisir de nouvelles opportunités, afin de donner envie aux autres de faire la même chose. Ce qui compte, c’est la qualité de communication, et de faire passer l’émotion dans ces histoires. Il ne s’agit pas de « business cases » qui donneraient une impression un peu trop rationnelle, genre rapport du consultant avec un diagnostic et des plans d’action. Mais au contraire de laisser la place au « storytelling », à cette capacité à attirer l’attention et à susciter l’enthousiasme et le désir. Cela peut être formalisé dans un « portail de l’urgence », permettant à chacun, où qu’il soit dans l’organisation, de communiquer son histoire ou ses propositions. Le secret : pas de management central, de « chef de projet » qui viendrait tenter de remettre de la hiérarchie dans l’affaire. Non, toutes ces communications permettent au contraire de propager cette énergie et ce sentiment d’urgence recherché, celui qui va aller chercher la « Big Opportunity » qui va mobiliser tout le monde.

Alors, en cette rentrée, pour se donner un nouvel élan, ne fermons pas trop vite les fenêtres : ouvrons les initiatives, créons le sentiment d’urgence en regardant et en observant autour de nous ; un peu comme si nous étions encore en vacances…les yeux et les oreilles ouvertes.