« Suspects, prospects, clients » : Le CRM en questions – suite et fin


Par Philippe Guihéneuc (chroniqueur exclusif) – Directeur Associé – Highburry

Les questions à se poser sur l’exploitation d’un CRM

Au terme d’un processus plus ou moins long (cf. articles précédents), vous avez pris la décision de mettre en place un (nouveau) logiciel de gestion de la relation clients. Vous avez fixé un calendrier et des objectifs au projet, puis vous avez nommé une équipe qui s’est occupé de sélectionner puis d’installer le système.

Reste à s’assurer qu’il est utilisé, et que cette utilisation produit un effet positif sur votre activité.

Avez-vous identifié les freins ?

Vous aurez beau avoir longuement préparé le terrain, mené une communication interne intense et usé de diplomatie pour faire valoir les avantages du nouveau dispositif, il se trouvera toujours un esprit chagrin pour critiquer le nouveau système. Lequel, de toutes façons, ne servira pas tous les intérêts individuels avec égalité – l’évolution est rarement juste, même quand elle est globalement profitable. Et voilà bientôt que d’un individu isolé, la fronde s’étend par capillarité à des groupes de mécontents. C’est que chacune des trois populations d’utilisateurs présente un risque de conflit :

– Bon nombre de commerciaux considèrent leur métier comme un art, relevant davantage du feeling que de la méthode. Certains peuvent voir le CRM comme un outil destiné à les canaliser vers des actions auxquelles ils ne croient pas ; ou comme un procédé de flicage, ce en quoi ils n’ont pas tout à fait tort. Les plus coriaces peuvent aller jusqu’à refuser d’alimenter le logiciel. Beaucoup protégeront leurs informations, en particulier celles qui portent sur leurs clients stratégiques, dont ils ne sont pas pressés de partager la connaissance.

– Par nature, le SAV déteste le changement. C’est que le client qui vous appelle se moque bien de savoir qu’on vient de vous changer de système, et que vous êtes un peu perdu dans les nouveaux écrans. Toute modification des habitudes entraîne de facto une perte de repères, donc de maîtrise. Un projet CRM génère souvent une forte augmentation du stress dans les équipes après-vente.

– Les marketing-men sont, de tous, les plus ouverts à l’utilisation de logiciels. Le marketing est un métier qui utilise couramment de nombreux applicatifs informatiques. Tout responsable marketing qui se respecte a doté son service d’un outil d’emailing, d’un système de gestion de newsletter, d’une solution d’analyse statistique, d’un produit décisionnel… Impulsé par la Direction Générale, mené par une équipe transversale, le projet CRM est au marketing comme un chien dans un jeu de quille. Plus encore qu’ailleurs, il remet en question les choix et les habitudes « d’avant ». C’est le responsable marketing qui négociera le plus un périmètre CRM restreint, et qui exigera que l’on mette en place des passerelles entre les outils existants et celui que vous voulez mettre en place.Au-delà des fonctions, des responsabilités et des enjeux qui s’y rattachent, il faut aussi tenir compte des personnalités de chacun des utilisateurs. Ici comme ailleurs, certains auront une attitude progressiste, d’autres seront définitivement conservateurs… D’autres encore prendront position au gré du vent. La mise en place d’un CRM est aussi un acte politique. Ne soyez donc pas surpris de constater que bon nombre de vos collaborateurs, à commencer par votre état-major, utiliseront d’abord cet outil – initialement destiné à gérer les relations clients – comme un levier interne, voire comme un instrument de leurs ambitions personnelles.


Parce que vous le valez bien

Il faut citer une quatrième catégorie d’utilisateur également capable de freiner l’exploitation du logiciel : vous-même. Depuis Nature of managerial work , on sait que les décideurs consacrent l’essentiel de leur temps à gérer le quotidien, au détriment de la réflexion moyen-long terme. A moins que vous ne soyez protégé par un panneau qui interdit à vos collaborateurs de vous déranger pendant les heures de bureau , vous serez de facto régulièrement interrompu au beau milieu de votre interprétation des données issues des tableaux de reporting CRM. Si vous préférerez déléguer cette tâche, vous ne ferez que transférer le problème vers quelqu’un d’autre. Ce faisant, vous enverrez à l’ensemble des utilisateurs un message clair : « Le CRM est un problème dont il faut de débarrasser discrètement ».

Comment éviter l’effet soufflé ? En montrant, par des faits précis et aussi retentissants que possibles, que le nouveau système est un élément indispensable de votre développement :

– Avez-vous demandé au chef de projet CRM d’auditer l’utilisation du dispositif, à M+1, M+3, M+6 etc… ?

– Avez-vous complété votre étude « RSE » (retour sur effort) consistant à demander aux utilisateurs ce qu’ils pensaient de la nouvelle solution ? Avez-vous publié les résultats dans votre journal interne ?

– Avez-vous fait témoigner des utilisateurs satisfaits ? Des commerciaux dont le chiffre a augmenté grâce à une meilleure productivité ? Des clients qui ont noté une meilleure qualité de service ?

– Avez-vous organisé des formations complémentaires et des piqûres de rappel à l’occasion des livraisons de nouvelles fonctionnalités ? Avez-vous prévu un programme de formation pour les nouveaux entrants ?

Est-ce que ça vaut le coup ?

Il peut paraître provocateur de poser la question au terme de ces trois articles. Mais la réponse ne souffre pas trop d’ambiguité. Selon une étude publiée en 2007 par IDC et Sage, 75% des entreprises qui ont mis en place un CRM affirment que le résultat est conforme ou supérieur à leurs espérances. La proportion augmente encore dans la population des entrepreneurs : parmi les motifs d’insatisfaction, l’un des principaux concerne le coût du changement… Lequel, par nature, s’avère moins complexe dans une jeune entreprise.

Alors, n’hésitez pas : sus au CRM.

(1) Mintzberg

(2) Ou par une fonction : certaines entreprises résolvent l’équation en isolant physiquement leurs stratèges et en les entourant de barrages.