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Consultant : l’art de donner son avis

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Par Gilles Martin (chroniqueur exclusif) – Président du cabinet de conseil en stratégie et management PMP

Pour beaucoup, un consultant c’est quelqu’un qui donne (ou disons plutôt qui vend) des conseils. Il est payé pour donner son avis sur les questions qu’on lui soumet.
Cela a l’air tellement simple que nombreux sont ceux qui pensent qu’ils peuvent devenir consultant comme ça : après tout des avis ils en ont, alors pourquoi pas ?
Et bien justement, ce n’est pas si simple.

Car, pour la plupart, surtout un dirigeant d’entreprise, demander son avis à un tiers, c’est une source d’anxiété énorme : car, imaginez un instant que vous suiviez un bon conseil de marketing, et que la campagne foire complètement, ou que vous réorganisiez votre logistique sur les bons conseils de ce consultant, et que les stocks, au lieu de se réduire, augmentent : qui sera tenu responsable ? Vous, bien sûr, et non votre consultant.

C’est pourquoi le consultant à qui on va demander un avis, il faut vraiment qu’il inspire confiance. Et on a toujours peur de se tromper.

Autre source d’anxiété : cette question sur laquelle vous avez envie d’une réponse, le consultant l’a peut-être déjà traitée de nombreuses fois (c’est même souvent la raison pour laquelle vous avez choisi ce consultant pour y répondre) ; mais ne va-t-il pas en profiter pour étaler sa science et vous embrouiller avec des mots que vous ne comprendrez pas ; ou bien avoir tendance à trouver plein de complications et de nouveaux problèmes à une question qui vous paraissait simple au départ (il va avoir forcément tendance car c’est précisément aussi pour ça qu’on lui demande un avis, pour voir des choses qu’on n’a pas vu).

Donc un consultant, quelle que soit la raison pour laquelle on le consulte, va quasiment tout le temps se retrouver en face de quelqu’un d’anxieux.
Et là, attention au comportement et à l’attitude !

Certains croient que pour bien se faire comprendre du client, il faut tout lui expliquer en détail, comme si on parlait à un enfant. Grave erreur. Ceci ne fera que rendre plus anxieux et méfiant votre interlocuteur.

Au contraire, un bon truc de comportement c’est justement d’imaginer que vous ne parlez pas à un enfant mais à votre père ou à votre mère.

Cela consiste à donner un avis mais en étant respectueux. L’attitude n’est pas de critiquer, de montrer sa science, mais de démontrer, par le simple comportement, que vous cherchez vraiment à aider et à être utile.

Car c’est une chose de vouloir donner un avis, cela en est une autre d’avoir la bonne intention.

Pourquoi voulez-vous donner un avis à cette personne ? Pour lui montrer que vous êtes plus intelligent, et que lui il est vraiment trop bête, pour lui en mettre plein la vue ? Pour lui faire payer le maximum d’honoraires ? En bref, vous le conseillez, lui, mais vous ne pensez qu’à vous. Et vous êtes sûr, dans ce cas, de faire tout ce qu’il ne faut pas faire, et que font tous les consultants amateurs.

Ou bien vous voulez vraiment l’aider, comme vous voudriez aider votre père à se sortir d’une situation, mais tout en restant le plus respectueux possible.

Dans cette attitude juste, tout compte : le choix des mots, le ton de la voix, le sourire, la posture,…

Ça a l’air simple, et pourtant combien l’oublient ?

Je me rappelle d’une situation personnelle à ce propos.

Un client me consultait sur l’amélioration de son système logistique. Lors d’une des premières réunions de travail je me présente avec un jeune consultant et un « expert », plus âgé, vieux de la vieille de la logistique.

Dans un jeu de questions-réponses le jeune consultant pose beaucoup de questions factuelles sur le système logistique, reformule les réponses, prend des notes. Il ne connaît pas grand-chose à la logistique, mais il a l’esprit logique, il a bien préparé la réunion ; il s’en tire bien.

Mon expert, lui, prend peu de notes. Il pose aussi des questions, mais elles m’ont l’air plus vicieuses, comme si il voulait coincer mon client.

Et puis à un moment, l’expert se lance : « pour mesurer la productivité il faut utiliser tel indicateur ». Et là, le client réplique : « Monsieur, je m’occupe de cette entreprise depuis vingt ans, et je sais que cet indicateur n’est pas approprié ».

Mon expert ne se décourage pas : « Cet indicateur est le plus pertinent, le meilleur, tous les professionnels de la logistique vous le diront ! ».

Peut-être avait-il raison, mais le jeune consultant et moi sentions bien que cela n’était pas en train d’arranger notre affaire avec le client.

A la fin de cette réunion, le client me retient quelques instants, en tête à tête : «  Votre jeune consultant, il m’a l’air très bien, il pose les bonnes questions. Par contre, l’expert, je préfèrerais que vous ne le fassiez pas travailler sur cette mission. »

J’ai ensuite passé un peu de temps avec mon « expert » qui ne comprenait vraiment pas pourquoi cet abruti de client ne comprenait rien, et allait se fier à ce jeune qui n’y connaissait rien, etc.…

Cet expert n’a jamais vraiment réussi dans le métier de consultant. Plus personne n’avait envie d’être conseillé par un type pareil. Et je n’ai plus jamais ressenti le besoin de le faire travailler dans mes équipes.

Par contre le jeune a gravi les marches du métier.

Aujourd’hui, il a quitté le conseil et est devenu …directeur de la logistique d’un grand Groupe.

A croire que cette attitude d’écoute lui a été profitable.

Je ne me rappelle pas non plus quel indicateur de productivité nous avions finalement retenu, peut-être celui de mon expert, mais ce qui est sûr, c’est que dans la forme, nous nous y sommes pris autrement.

Oui, donner un avis, un conseil, c’est plus un art qu’une science. De nombreux consultants l’apprennent à leurs dépens. Certains n’y arrivent jamais.

La plupart l’apprennent toute leur vie.

On apprend aussi des erreurs des autres ; c’est pourquoi je garde une tendresse particulière pour mon expert de cette histoire ; il aura au moins permis au jeune consultant d’apprendre par l’exemple.

6 thoughts on “Consultant : l’art de donner son avis”

  1. Votre billet m’a touché, car je suis très sensible aux compétences transversales et à la réflexion sur ces compétences. La connaissance, le savoir ne peut être mis en valeur sans une attitude appropriée dans le domaine des échanges avec autrui. Et aucun séminaire de communication n’y changera rien.Pour moi les compétences transversales doivent couvrir un ensemble de points comme notre manière de penser, la communication, l’empathie, l’organisation, la conduite, la résolution des problèmes, l’efficacité-sécurité et le choix des méthodes.
    On s’éloigne de l’expert pour se rapprocher du leader.

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  2. Je trouve votre article criant de vérité. Le métier de consultant est vraiment particulier et nécessite une capacité à comprendre l’autre et à l’écouter que beaucoup de gens sous-estiment.

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  3. Article très intéressant, et qui montre encore que l’écoute reste toujours l’un des éléments primordiaux dans une relation commerciale, et ce quelque soit le produit ou le service proposé.

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  4. c’est article est particulièrement intéressant et met le doigt sur quelque chose que je ressens au quotidien auprès de mes clients.
    C’est également une triste (?) réalité que de s’appercevoir que ce qui compte plus que la qualité de l’expertise, c’est l’art et la manière de rassurer le client… quite à lui vendre du vent, mais surtout que ce client soit content et qu’il allonge la monnaie.

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  5. Bon billet, qui représente également ma vision du conseil.
    Pour répondre au billet légérement véhément et qui correspond à une vision malheureusement trop répandue du consultant (« Qu’est ce qu’un consultant ?
    Un gars qui consulte ta montre, te dit l’heure et te fait payer la prestation »), la mission du vrai consultant n’est pas de vendre des étagères de vérités toutes faites, et qui dans la plupart des cas ne s’adaptent pas au client, mais justement, tel qu’il est dit ici, de savoir écouter le client et lui proposer ce qui lui est très exactement nécessaire.
    Ce qui peut parfois amener à lui « lire l’heure sur sa montre » : souvent le client ne sait plus voir la montre qui pourtant est juste sous ses yeux. C’est dans ce cas simplement le fait d’être extérieur au problème qui permet de formuler le conseil adéquat.

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