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Marre du storytelling !

Vincent Rivalle Par Vincent Rivalle (chroniqueur exclusif) – KDZ’ID (Accompagnement au développement de TPE et PME) – TRAD ONLINE (Associé – Société de traduction)

Le storytelling…une rustine de plus sur les entreprises en mal d'être et avec des projets sans âme ?

"Quel triste peuple que celui qui a besoin d’histoire…l’histoire c’est nous, là maintenant, en ce moment". Une phrase tirée du dernier spectacle de Jan Lauwers (artiste complet, mais ici dans une posture de chorégraphe/metteur en scène) présentée il y a peu au Théâtre de la Ville, à Paris.

Premier tilt.

Un article récent du Nouvel Economiste N° 1519 au sujet de Thomas Legrand (chroniqueur de France Inter) sous titré « Une nouvelle spécialité journalistique…le démontage de storytelling ».

Deuxième tilt.

Et en réfléchissant, je me suis souvenu du roman d’Antoine Bello « Les falsificateurs » lu il y a quelques années… Un bijou : comment une société secrète et mondiale se dévoue à la réécriture de l’histoire et s'organise pour ancrer et inscrire dans le réel une légende fabriquée dans un objectif précis (un deuxième opus est sorti en 2009 sous le titre « les éclaireurs »…)

Troisième tilt.

Et pourtant, j’entends encore ce « Il faut absolument raconter une histoire » sermonné (le mot est faible) par un «soi disant» gourou – français pour une fois (que je ne citerai pas) – narrer, devant un parterre de responsables d'entreprises, l'impérieuse nécessité de s'inventer une histoire pour séduire les clients et entrainer (au sens, vers plus de productivité) ses collaborateurs…

J’entends ici et là depuis des années, comme dans un dernier râle, des entreprises en perdition de sens, plaquer et placarder des « chartes de valeurs », fouiller dans leur « ADN » en remuant leur histoire supposée glorieuse en faisant appel à grand frais à ce que l’on appelle « des archéologues d’entreprises » (je n’invente pas)…

Et je pose la question…N’est-ce pas vain tout cela ? A quoi cela mène-t-il réellement ? L'histoire racontée et déterrée a pu être "vraie" (avec toute la nuance et la distance qu’apporte une réinterprétation de la dite « histoire ») à un moment donné (les mythes fondateurs, etc.). Elle a pu être stimulante, attractive pendant quelques temps (pour ceux qui l’ont vécu et non entendu).

Mais peut-on vraiment attirer de nouveaux collaborateurs, de nouveaux clients avec un passé glorieux, et non un présent ou un quotidien attractif ?

Pourquoi les entreprises (certaines, je ne généralise pas) ne tentent pas d’inventer l’Histoire en marchant ? Pourquoi ne tentent-elles pas de donner leur chance à leurs collaborateurs de l’instant plutôt que de leur « offrir » sur un plateau une histoire…qui n’est pas la leur ?

Pourquoi ces entreprises étouffent par ce biais les nouvelles initiatives et personnalités dans ce carcan (sarcophage), qui impose un terrain « de jeux » aux dimensions tristement finies ?

Tout ceci manque de souffle et de vérité. Tout ceci sent malheureusement le factice…Et tout ceci contribue à la défiance généralisée que l’on ressent aujourd’hui, défiance diffuse qui n’est plus réduite à certains lieux ou contextes de vie. Défiance des clients qui se disent « ok ok… » et défiance des collaborateurs qui ont l’impression de vivre dans un triste théâtre…

Dans la fameuse sortie de J. Ford, "Between the truth and the legend, choose the legend", il y a « choose ». (et non pas, « impose »).

En un mot, si j’ose, « entreprises, laissez vos forces vives inventer et choisir votre histoire et cessez de leur imposer un déguisement qu’elles ne souhaitent pas endosser ».

7 thoughts on “Marre du storytelling !”

  1. Très bonne réflexion, surtout pour des entreprises en phase de maturité ou de déclin, car pour une entreprise en création il est important de s’approprier une histoire pour améliorer sa communication.

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  2. Je trouve que le post survole un peu l’intérêt réel du storytelling.
    Les exemples d’entreprises qui se perdent afin de créer une histoire de toute pièce en empêchant la génération actuelle d’en créer une… c’est pas vraiment storytelling tout ça.
    En aucun cas le storytelling n’est là pour reprendre le passé d’une société et de le définir commme la norme à respecter. Au contraire. Seulement la mode actuelle est au rétro, valeur refuge en temps de crise. Mais si on reprend les dernières campagnes dans le secteur automobile, ne parle-t-on pas « d’anti-rétro » ? La dernière vidéo Nike pour la coupe du monde ne se termine-t-elle pas par « Ecris le futur ».
    Le storytelling est un outil pour transmettre et scénariser l’histoire de la société, mais n’est pas une fin en soi comme il est développé dans le post. Comme souvent en communication, on pense que c’est facile et que les outils sont aisément exploitables… Le storytelling est utile pour transmettre le sens de la démarche de l’entreprise auprès du consommateur, pas à le créer !

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  3. Pour ma part j’abonde dans le sens de Vincent. En effet, lorsqu’une entreprise construit son histoire en tant que PME (avec l’esprit d’une PME) puis devient un gros groupe (croissance externe notamment), je crois qu’il y a fort à parier pour que son histoire ne véhicule plus rien. C’est intéressant de donner du sens, de faire part des valeurs mais donnons la priorité à aujourd’hui et non à hier. ce que veut le client, c’est comprendre pourquoi. Pourquoi il nous choisirait aujourd’hui et maintenant (et pas s’il avait été notre mère). A ce sujet, je vous invite à lire ce billet :
    http://www.idees-entreprendre.fr/entrepreneurs-convaincre-commencez-pourquoi
    Ludo

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  4. Le storytelling est une technique. En tant que tel, il n’est ni bon ni mauvais, il est ce qu’on en fait. Une histoire authentique donne du sens, rassure et engage sur le long terme. Elle s’appuie aussi sur l’émotion et nous sommes souvent plus des être émotionnels que rationnels.
    Être contre le fait de raconter une (son) histoire, c’est comme être contre la pub en général, contre la com parce que « mon produit est bon et je n’ai besoin de personne pour le faire savoir ». C’est vrai… si vous êtes riche et que vous avez les moyens d’attendre des années avant d’être connu. Mais si vous pouvez bénéficier d’un coup daccélérateur, pourquoi le refuser ?
    Moi non plus, je n’aime pas le storytelling mensonger, manipulateur, factice… Mais enlevez le terme « storytelling » de ma phrase et le sens n’en change pas. En revanche, j’aime les belles histoires, qu’on m’en raconte et en raconter (et j’en ai fait mon métier).

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  5. Aurélien : comme vous le dites, il faut que l’équipe s’approprie une histoire et le mieux pour ça (à mon sens, pour coller au contenu de mon post) est qu’elle crée elle-même son histoire, en marchant.
    Matt : Je comprends votre remarque. Pourtant, le storytelling n’est pas que destiné à transmettre le sens de la démarche aux consommateurs, mais aussi souvent, à cadre/encadrer (ou d’autres diront « à créer un sentiment d’appartenance au collectif ») les collaborateurs. Et souvent, en apportant comme vous le dites une sorte de scénarisation de l’histoire de la société, de son positionnement, etc. Pourtant, je pense sincèrement (sans être bien sûr tout blanc/tout noir, mais un billet d’humeur doit être un peu tranchant) que cette scénarisation est souvent soit tirée par les cheveux ou soit plaquée comme « vérité unique » en se basant sur un passé glorieux ou une sorte de fait d’armes de l’entreprise.
    Ludo : en effet, on voit cela dans certaines réussites « ex-startups » qui n’arrivent pas à conserver le mythe fondateur intact et tentent pourtant de maintenir ce passé…sous perfusion…
    Sébastien : j’entends votre remarque mesurée. Il y a des exceptions j’en conviens et un angle d’analyse plus positif. J’ai voulu pointer les dérives du storywashing…
    Merci pour vos remarques, c’est sympa de réagir.

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  6. Merci Vincent pour ton article qui est très clair!
    Et j’aime beaucoup le concept de « storywashing » car c’est là que le bât blesse : une bonne et authentique histoire permet de jouer sur l’émotionnel donc un peu d’évasion (voire d’humour)dans ce monde de brutes 🙂 alors qu’une histoire forcée n’est que manipulation.
    Personnellement, j’ai beaucoup aimé les histoires de Google (http://bit.ly/b5p7qV) et de Schweppes (http://bit.ly/d6S4TR)
    Merci encore et au plaisir de vous lire…

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  7. L’enjeu n’est pas d’être pour ou contre le storytelling. Ni d’avoir envie ou non d’écouter de belles histoires. Les histoires du storytelling des entreprises n’ont pas à être belles ou laides. Elles ont à être utiles. C’est aussi simple que cela. Et pour être utiles, il faut qu’elles soient crédibles, c’est à dire authentiques (la vérité n’a rien à voir là-dedans). Englobant tout cela, il y a le fait que nous sommes, foncièrement, et depuis toujours, des storytellers : l’homme a toujours communiqué en racontant des histoires. C’est aussi mon métier.

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