« Petite chronique boursière » : Les chemins qui mènent à Rome

Vincent_colot
Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Tous les chemins mènent à Rome …

Ce célèbre dicton populaire est-il valable
pour la finance boursière ? En d’autres termes, existe-t-il plusieurs
stratégies (« chemins ») pour battre la Bourse (« atteindre Rome
») ?

Assurément, oui, bien qu’en nombre sans
doute réduit. Si le paradigme en place reste celui de l’efficience des marchés
(stipulant grossièrement qu’il n’est pas possible de battre la Bourse sauf au
prix de risques supérieurs, vu que toute l’information disponible est déjà correctement
incluse dans les cours), les crises récentes ont creusé quelques failles dans
cette élégante construction théorique. En particulier, l’hypothèse de l’investisseur
rationnel, pierre angulaire de l’efficience des marchés, est de plus en plus battue
en brèche par les faits. Dans la crise de la finance mondiale, l’aveuglement
des investisseurs et autres opérateurs financiers était sans doute moins
imputable à leur foi dans le hasard (« random walk ») qui préside
théoriquement à l’évolution des marchés qu’à des erreurs manifestes de
diagnostic sur la solidité du système. Pour reprendre la formule récente de
Warren Buffett venant au secours des agences de notation, la hausse des prix
agit comme un puissant narcotique. Ce narcotique annihile notre sens critique
et nous éloigne de la rationalité au moment précis où celle-ci est le plus
nécessaire. Quant aux ajustements boursiers depuis l’automne 2008, une fois les
crises financière puis économique déclarées, ils se sont manifestement déroulés
de façon anarchique, consistant en une succession de surréactions (d’abord
brutalement à la baisse puis spectaculairement à la hausse avant une nouvelle
baisse) dont nous ne sommes manifestement pas encore sortis. Quand l’émotivité
(« greed and fear » c-à-d. l’âpreté au gain et la peur) s’empare des
investisseurs et qu’elle est renforcée par la surmédiatisation de la chose
économique et par l’omniprésence dans les salles de marchés de programmes
informatiques réagissant à la milli-seconde (jusqu’à provoquer un « flash
crash » en pleine séance à Wall Street le 6 mai dernier), le chaos
s’installe.

Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que,
paradoxalement, pour celui qui étudie les fondamentaux de l’économie et des
entreprises, le chaos induit la prévisibilité. Pas à court terme
(quelques jours ou quelques semaines), bien entendu, mais à moyen ou long terme
(quelques mois ou années). Et, précisément, la prévisibilité signifie que, pour
les investisseurs qui disposent du bon « logiciel mental », il est
possible de battre la Bourse.

Tout au long de mes chroniques, peu ou
prou, j’ai tenté de vous faire partager ma conviction dans les vertus de
l’approche dite du « value investing », privilégiant l’achat (la
vente) d’actions dont la valeur intrinsèque est sensiblement inférieure
(supérieure) au cours de Bourse. Je considère en effet qu’il s’agit
probablement de la meilleure méthode puisque, à la fois, elle repose sur des
vérifications empiriques assez convaincantes et elle est accessible au petit
investisseur pour peu qu’il soit éclairé. La valeur de cette stratégie
boursière tient également dans sa robustesse : elle reste en moyenne
foncièrement valable quelle que soit la conjoncture économique.

Mais je ne suis pas obtus – encore
faudrait-il le demander à mon entourage. D’abord, cette approche revêt des
formes techniquement, voire philosophiquement, disparates et elle est loin
d’être adoubée par tous les praticiens. C’est d’ailleurs heureux : nul
doute que si le « value investing » était unanimement pratiqué,
l’anomalie qu’il représente cesserait largement d’exister. Ensuite, d’autres
stratégies existent avec leurs mérites propres. Certains recourent avec succès
à l’analyse technique, reposant sur l’observation passée, et parfois tordue,
des cours des actions. D’autres développent de réelles capacités à découvrir
des entreprises encore peu connues et qui deviendront des « success
stories » dans leurs domaines, à l’aune d’un Microsoft ou d’un L’Oréal :
acquérir leurs actions suffisamment tôt se révèle alors extrêmement
rémunérateur. Et si demain, il était démontré que l’analyse des phases lunaires
ou du marc de café permettait de dégager de substantiels gains boursiers, eh
bien, je me rangerais tout naturellement à l’évidence.

Au-delà de la technique employée, le plus
important est peut-être la qualité de la maîtrise de l’artisan investisseur.

Mais, quelle que soit l’approche choisie,
l’investisseur doit être conscient que le chemin reste truffé d’obstacles en
tous genres. Il tombera plus d’une fois. Mais, s’il est convaincu du bien-fondé
de sa stratégie, il ne doit surtout pas abandonner : aucune méthode ne
marche à tous les coups et l’important est de continuer à se perfectionner sur
la voie choisie. Ce processus d’apprentissage doit être abordé avec une grande
humilité : plus que jamais, le monde économique et boursier est traversé
par de profonds bouleversements qui font que les vérités d’hier ne sont pas
nécessairement les vérités de demain. A l’investisseur de faire preuve de
suffisamment de souplesse pour s’adapter sans se renier. 

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