« Petite chronique boursière  » – Sanofi : braquage à 18 milliards d’euros (et sans doute bien plus)

Vincent_colot Par Vincent Colot (chroniqueur exclusif) – Analyste financier

Dans l’actuel renouvellement des dirigeants des grandes entreprises françaises pour diverses raisons (allant du décès accidentel de Christophe de Margerie chez Total à la passation de pouvoir volontaire de Franck Riboud chez Danone en passant par l’éviction politique de Henri Proglio chez EDF), le brusque départ du germano-canadien Christopher Viehbacher, depuis 2009 à la tête de Sanofi, a de quoi davantage retenir notre attention.

En effet, voilà un dirigeant éminemment respecté tant par les professionnels de son secteur (la pharmacie donc) que par les actionnaires d’un groupe dont le cours de l’action a doublé depuis son arrivée.

Et pourtant, un conseil d’administration réuni au petit matin du 29 octobre dernier l’a démis de ses fonctions « manu militari ». A la clé de cette décision prise à l’unanimité, une explication lapidaire faisant état, je cite, de la nécessité d’un « «management fédérant plus largement les talents, une focalisation plus grande sur l'exécution et une collaboration étroite et confiante avec le conseil». Les actionnaires font la grimace : en trois jours, soit le temps de la concrétisation des rumeurs de départ du dirigeant, l’action a perdu quelque 16%, l’équivalent de 18 milliards d’euros.

Certes, Sanofi doit affronter actuellement un brutal ralentissement de son activité diabétique, soumise à une pression accrue des médicaments génériques. Soyons honnête : cela a joué aussi dans la réaction à la baisse du cours de l’action. Mais la menace qui pèse sur un produit (le Lantus) représentant 17% du chiffre d’affaires du groupe n’est pas à ce point grave et immédiate, surtout compte tenu des autres vecteurs de croissance du groupe, chantiers mis en œuvre ces dernières années par Viehbacher, justement en prévision de telles difficultés. Cela ne peut donc pas constituer un motif valable pour débarquer un chef d’entreprise de cette stature. Une autre explication met en avant le caractère d’un homme peu adepte de la communication, y compris avec son conseil d’administration. C’est déjà plus crédible : dans une entreprise, le conseil d’administration, en tant qu’interface entre la direction et les parties prenantes au premier rang desquelles les actionnaires, a bien entendu toute sa légitimité dans la fixation des objectifs stratégiques. Mais corriger un tel comportement, s’il est bien avéré dans ce cas précis, ne semble pas insurmontable. La raison la plus vraisemblable au limogeage du chef de Sanofi semble moins glorieuse. La poursuite de l’internationalisation du groupe mettrait en danger la présence et le développement de l’activité sur le sol français. Or, pour Sanofi, la France représente quelque 28000 postes dans 26 usines, ce qui est à mettre en relation avec seulement 8% du chiffre d’affaires réalisés dans l’Hexagone.

L’ancrage historique et culturel du groupe sur le sol national doit bien entendu être prise en compte. Mais pour un groupe de l’ampleur de Sanofi, qui est en concurrence directe avec d’autres géants mondiaux et dont la majorité des actionnaires ne sont plus français depuis longtemps, la question du redéploiement de certaines ressources hors du territoire ne peut pas être un sujet tabou. Lorsque l’on sait que le conseil d’administration compte une majorité de membres français et que son président, Serge Weinberg, est un énarque proche de l’actuel Ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, on est en droit de s’interroger sur une décision prise précipitamment, quoique hors tout contexte d’urgence, sans demander l’aval des actionnaires.

Nul ne peut affirmer que les plus hautes autorités de l’Etat (selon la formule consacrée) sont intervenues dans ce dossier. Malheureusement, cette confirmation ne serait qu’anecdotique. Le doute est entré dans l’esprit des investisseurs qui voient dans cette manœuvre un reliquat d’une tradition colbertiste. Dans sa récente et grandiloquente déclaration d’amour aux entreprises, le Premier Ministre, Manuel Valls, a surtout mis l’accent sur les petites et moyennes entreprises qui demandent, à juste titre, moins de contraintes pour se développer. Les grands groupes industriels, eux, restent un objet à la fois de fierté (ils sont souvent issus de grands programmes étatiques) mais aussi de défiance, à qui il ne faut pas trop lâcher la bride.

La France est-elle entrée de plain-pied dans la mondialisation ? Elle dispose en tous cas de tous les atouts (inventivité, solidarité, main d’œuvre bien formée) pour y réussir. Mais certains réflexes de crispation ont la vie dure. De quoi, malheureusement, peser durablement sur la valorisation de toutes les entreprises du CAC40. La facture évaluée, dans un premier temps, à 18 milliards d’euros, pourrait donc finalement s’avérer bien plus lourde.

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