Par Carl-Alexandre Robyn (contributeur) – Ingénieur conseil financier
Voici un exemple classique de Proposition d’investissement accompagnant la fin du pitch des fondateurs :
« Nous avons besoin de 300 000 € pour soutenir notre croissance lors des 12 prochains mois. Ceux-ci serviront majoritairement à :
1. Marketing (augmentation de la notoriété et acquisition clients) ;
2. RH (embauche d’un développeur supplémentaire et d’un vendeur pour notre offre aux entreprises) ;
3. Produit (essentiellement développement d’une application mobile).
Notre capital social actuel est de 20 000 € (Bootstrapping et love money).
Nous souhaitons lever les 300 000 € nécessaires en recourant au crowdfunding (100 000 €) et aux business angels (200 000 €). »
Voici donc une proposition en apparence bien structurée et séduisante.
On répond aux points cardinaux : Combien demander, pourquoi le demander, à qui le demander…
On oublie cependant d’autres points cardinaux : Comment le demander, pour quelle durée, pour quel rendement…
Mais surtout, on oublie, sciemment ou non, de préparer la réponse à la question fondamentale de l’investisseur : En échange de quoi ? :
« Que me proposez-vous en échange des capitaux que j’apporte ? Sous-entendu quelle part de votre capital social me cèderez-vous ? »
« Heu…entre 5 et 10 % du capital de la start-up . Pas plus de 10 % ! »
Hésitation, proposition timorée, suivie d’une déclaration péremptoire :
« Comment ? Vous demandez 300 000 €, vous m’offrez pour cela 10 % de votre société, par conséquent vous la valorisez d’entrée de jeu à …3 million d’euros (300 000 / 0,1). C’est aberrant !
J’apporte l’équivalent de 15 x vos fonds propres actuels et vous ne me cédez qu’1/10e de votre société !?Comment justifiez-vous cela ? »
Yeux ronds et bégaiements embarrassés du « pitcheur »…
Constats
98 % des startupers n’ont aucune idée de la valeur financière de leur projet. Or, c’est crucial pour négocier le pourcentage du capital qu’il faudra céder à des apporteurs de fonds. Lors des « start-up week-ends » on constate souvent qu’il y a effectivement un manque criant de profils financiers dans les jeunes pousses. Typiquement, les équipes de projets se composent à 50 % de développeurs Web, à 25 % de designers, et à 25 % de Business developpers : bref, quasiment jamais de compétences financières…
75 % des business angels n’ont pas une idée claire de comment valoriser financièrement la start-up qui les sollicite. D’ailleurs plus de la moitié de ceux-ci (personnes privées riches, aux connaissances financières souvent peu sophistiquées) ne font même pas la différence entre valeur premoney et valeur postmoney.
75 % des Venture Capitalists n’aiment pas valoriser financièrement une jeune pousse. Ils se réfugient derrière des formules péremptoires, évasives ou ambigües : « cela (votre propre valorisation) n’empêche pas la négociation, mais cela ne l’encourage pas non plus…ou Cela ne correspond pas au résultat de notre propre processus de valorisation… », etc.
Plus de ¾ des starters ne voient pas (ou feignent de ne pas voir) le lien de cause à effet entre le montant demandé et le capital qui sera cédé en échange.
Très souvent, les fondateurs n’ont pas réfléchi à ce détail qui tue (deal killer) et de ce fait « douchent » l’enthousiasme des financeurs.
Ils ont, en général, bien réfléchi à combien demander, pourquoi le demander, comment l’utiliser et parfois même quel % de leur capital social ils sont prêts à céder mais ils ne font pas le lien logique entre ce qu’ils demandent et ce qu’ils offrent…
Startupers mal à l’aise
C’est une situation étrange : certains business plans ont une partie financière disproportionnée par rapport à l’ensemble du document : Des paragraphes de descriptifs élaborés, de calculs raffinés de rentabilité attendue , de ROI (return on investment) atteignable, de calculs prévisionnels sophistiqués de toutes sortes : ils ont l’audace d’avancer des hypothèses hardies sur les taux de croissance attendus et les perspectives de rentabilité mais ils n’osent souvent pas avancer une valeur actuelle présumée de la start-up et se montrent pour le moins timorés quand il s’agit de l’expliquer.
La valorisation financière est le talon d’Achille de tout le processus de rédaction du plan d’affaires.
